L’arrêt APREI du 22 février 2007

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

arrêt APREI

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L’arrêt APREI (CE, Sect., 22 février 2007, 264541) est un arrêt essentiel en droit administratif. Cet arrêt a complété la méthode dégagée dans l’arrêt Narcy du 28 juin 1963 pour caractériser les personnes privées gérant un service public.

L’arrêt Narcy avait en effet consacré trois critères cumulatifs pour identifier si une personne privée gère un service public :

  • l’intérêt général de l’activité
  • le contrôle des pouvoirs publics sur la personne privée
  • la détention par la personne privée de prérogatives de puissance publique

Si l’arrêt APREI n’a pas renié ces trois critères, il a toutefois affirmé que la gestion d’un service public par une personne privée peut être reconnue en l’absence du troisième critère, à savoir la détention de prérogatives de puissance publique. Dans un tel cas, l’arrêt APREI donne un véritable faisceau d’indices afin de déterminer si la personne privée est chargée ou non de la gestion d’un service public.

 

L’arrêt APREI : les faits

L’Association du Personnel Relevant des Etablissements pour Inadaptés (APREI) a demandé communication de certains documents administratifs à l’Association Familiale Départementale d’Aide Aux Infirmes Mentaux de l’Aude (AFDAIM).

Or l’AFDAIM a refusé de transmettre les documents à l’APREI. Cette dernière décide de saisir le tribunal administratif de Montpellier afin d’obtenir communication de ces documents.

 

La procédure

Dans un jugement du 27 janvier 1999, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Montpellier a donné raison à l’APREI. Par conséquent, il a annulé le refus de communication opposé par l’AFDAIM et enjoint à cette dernière de communiquer les documents demandés.

L’AFDAIM a cependant fait appel de cette décision. Et dans un arrêt du 19 décembre 2003, la cour administrative d’appel de Marseille a fait droit à cet appel. Elle a donc annulé le jugement du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Montpellier en date du 27 janvier 1999. Suite à cet arrêt, la situation est donc la suivante : puisque le jugement du 27 janvier 1999 est annulé, le refus de communiquer les documents opposé par l’AFDAIM ne fait plus l’objet d’une annulation. Dès lors, l’APREI ne peut obtenir communication des documents.

Mécontente de l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Marseille, l’APREI décide de se pourvoir en cassation devant le Conseil d’Etat. Elle demande au Conseil d’Etat :

  • d’annuler l’arrêt du 19 décembre 2003 de la cour administrative d’appel de Marseille
  • statuant au fond, d’annuler le refus de communiquer les documents opposé par l’AFDAIM

 

Les thèses en présence

L’APREI se fonde sur l’article 2 de la loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal, qui dispose que : « les documents administratifs sont de plein droit communicables aux personnes qui en font la demande, qu’ils émanent des administrations de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics ou des organismes, fussent-ils de droit privé, chargés de la gestion d’un service public ».

En effet, selon l’APREI, l’AFDAIM est bien un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public ; elle doit dès lors communiquer les documents demandés.

L’AFDAIM étant une association, elle est effectivement un organisme de droit privé. Reste à savoir si elle gère un service public…

En l’espèce, l’AFDAIM soutient qu’elle n’est pas en charge de la gestion d’un service public.

 

Le problème de droit

Il revenait donc au Conseil d’Etat de déterminer si l’AFDAIM était effectivement en charge de la gestion d’un service public.

De manière plus générale, le Conseil d’Etat devait donc déterminer selon quelle conditions une personne privée est considérée comme gérant un service public.

 

La solution de l’arrêt APREI

Dans son arrêt APREI du 22 février 2007, le Conseil d’Etat affirme dans un premier temps qu’il y a des « cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l’inverse, exclure l’existence d’un service public ».

Puis dans un second temps, le Conseil d’Etat rappelle la jurisprudence Narcy : « une personne privée qui assure une mission d’intérêt général sous le contrôle de l’administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l’exécution d’un service public ».

Enfin, dans un troisième temps, la juridiction suprême de l’ordre administratif ajoute que même en l’absence de prérogatives de puissance publique, « une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l’administration a entendu lui confier une telle mission ».

Ainsi, le Conseil d’Etat distingue d’abord deux hypothèses différentes pour identifier si une personne privée gère un service public :

  • si le législateur a lui-même reconnu, ou à l’inverse dénié, l’existence d’un service public, alors la volonté du législateur s’impose au juge. Ce dernier n’a pas à rechercher si l’activité est ou non de service public ; il doit simplement constater la volonté du législateur.
  • si en revanche le législateur ne s’est pas prononcé, le juge doit lui-même déterminer si la personne privée gère un service public.

C’est au sein de cette deuxième hypothèse que l’arrêt APREI apporte une innovation. En effet, jusqu’alors, la jurisprudence Narcy s’appliquait sans distinction ; pour que la personne privée soit reconnue comme gérant un service public, il fallait impérativement que son activité soit d’intérêt général, qu’elle soit soumise au contrôle des pouvoirs publics et qu’elle dispose de prérogatives de puissance publique.

L’arrêt APREI vient apporter une distinction en consacrant la possibilité pour une personne privée de gérer un service public, même en l’absence de prérogatives de puissance publique.

Ainsi, si le législateur ne s’est pas prononcé sur l’existence d’un service public, il faut distinguer deux situations :

  • soit la personne privée dispose de prérogatives de puissance publique : dans ce cas, la jurisprudence Narcy s’applique, et il faut remplir les deux autres critères du contrôle des pouvoirs publics et de l’intérêt général de l’activité pour que l’existence du service public soit reconnue.
  • soit la personne privée ne dispose pas de prérogatives de puissance publique : à ce moment-là, le juge doit se référer au faisceau d’indices issu de l’arrêt APREI pour déterminer si la personne privée gère un service public.

Parmi ce faisceau d’indices, il convient de remarquer que l’intérêt général de l’activité est bien présent. Ainsi, dans tous les cas, l’activité doit être d’intérêt général pour être considérée de service public, peu importe que la personne privée dispose de prérogatives de puissance publique ou non.

Avec ce faisceau d’indices, l’idée est de vérifier que l’administration a voulu confier à la personne privée une mission de service public. Pour ce faire, le juge va regarder (on l’a dit) si la personne privée a une activité d’intérêt général, mais également les conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, les obligations qui lui sont imposées ainsi que les mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints. Puisqu’il s’agit d’un faisceau d’indices, tous les critères n’ont pas nécessairement à être présents pour que soit reconnue une mission de service public.

En l’espèce, pour déterminer si l’AFDAIM gère ou non un service public, le Conseil d’Etat relève que :

  • l’activité de l’AFDAIM est d’intérêt général
  • sa création, sa transformation ou son extension sont subordonnées à une autorisation délivrée de manière discrétionnaire, selon le cas, par le président du conseil général ou par le représentant de l’Etat
  • l’AFDAIM a l’obligation d’accueillir les adultes handicapés qui lui sont adressés par la commission technique d’orientation et de reclassement professionnel

Après avoir fait application du faisceau d’indices, le Conseil d’Etat n’en déduit pourtant rien au sujet de l’influence de l’Administration sur l’AFDAIM ; il précise, de manière étonnante, que le législateur a voulu exclure l’existence d’un service public.

En conséquence, l’AFDAIM n’est pas un organisme privé en charge de la gestion d’un service public, et l’APREI n’est pas fondée à demander la communication des documents administratifs. La requête de cette dernière est donc rejetée.

 

La portée de l’arrêt APREI

Comme expliqué précédemment, le critère de la détention de prérogatives de puissance publique est érigé en principe par l’arrêt APREI ; ce n’est qu’en l’absence de prérogatives de puissance publique que le juge doit appliquer le faisceau d’indices.

Pourtant, la détention de prérogatives de puissance publique tend à décliner au profit du faisceau d’indices ; de plus en plus, le juge administratif commence par examiner les critères du faisceau d’indices.

Ainsi, dans un arrêt M.B. du 10 juin 2013, pour déterminer si l’activité en cause était ou non de service public, le Conseil d’Etat a d’abord examiné en se basant sur le faisceau d’indices. Il a ainsi relevé que l’activité était d’intérêt général, que le fonctionnement de la personne privée était placé sous le contrôle de l’Administration, que la personne privée avait des obligations et qu’elle était soumise à des mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés étaient atteints. Ce n’est qu’ensuite qu’il a précisé que le législateur avait entendu doter la personne privée de prérogatives de puissance publique.

Déjà en 2007, Mme Célia Vérot affirmait que « définir le service public à partir de la détention de prérogatives, c’est […] renverser l’ordre normal des causes et des conséquences. Il est en effet sûr que ce n’est pas la détention de prérogatives qui justifie la qualification de service public, mais au contraire, l’exercice d’une mission de service public qui justifie l’octroi de prérogatives ». L’arrêt APREI avait simplement indiqué que la détention de prérogatives de puissance publique n’était pas nécessaire pour que soit reconnue une mission de service public. Mais la jurisprudence postérieure est allée encore plus loin en remettant en cause ce critère en tant que critère d’identification du service public, ce qui confirme le constat fait par Mme Vérot.

 

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