L’arrêt Arcelor du 8 février 2007 [Explication]

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

arrêt Arcelor

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Le 8 février est décidément une grande date pour le droit administratif ! Après le Tribunal des conflits en 1873 et son arrêt Blanco, c’est au tour du Conseil d’État de rendre le 8 février 2007 un grand arrêt.

Effectivement, dans son arrêt Arcelor (CE, Ass., 8 février 2007, n° 287110), le Conseil d’État précise les modalités du contrôle de constitutionnalité des dispositions réglementaires transposant une directive de l’Union européenne.

 

Les faits

Une directive européenne du 13 octobre 2003 relative à l’environnent avait mis en place un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans l’Union européenne. Cette directive fut transposée en France par une ordonnance du 15 avril 2004 et par un décret du 19 août 2004 afin d’appliquer les quotas aux usines du secteur sidérurgique.

La société Arcelor, directement touchée par ce décret, demanda au président de la République, au Premier ministre, au ministre de l’écologie et du développement durable et au ministre délégué à l’industrie, d’abroger ce décret. Face à leur silence, la société Arcelor décida d’attaquer le décret devant le Conseil d’Etat au moyen d’un recours pour excès de pouvoir.

La société Arcelor soutenait notamment que le décret portait atteinte au principe d’égalité. Or le principe d’égalité ayant valeur constitutionnelle, et les normes constitutionnelles devant primer sur toutes les autres en application de la hiérarchie des normes en droit interne, la société Arcelor demandait au Conseil d’Etat :

  • d’annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites de refus du président de la République, du Premier ministre, du ministre de l’écologie et du développement durable et du ministre délégué à l’industrie
  • d’enjoindre à ces autorités d’abroger le décret

 

Le problème de droit

Il appartenait au Conseil d’Etat d’apprécier la légalité du décret pour savoir si les autorités concernées étaient tenues de l’abroger.

Le Conseil d’Etat était donc confronté à la question suivante : le juge administratif peut-il exercer un contrôle de constitutionnalité à l’égard d’un décret transposant directement une directive de l’Union européenne ?

Or il faut bien comprendre que le décret n’était que le miroir de la directive puisqu’il se bornait à reprendre à l’identique les dispositions de celle-ci. Dès lors, contrôler la constitutionnalité du décret revenait à contrôler la constitutionnalité de la directive. Autrement dit, le Conseil d’Etat devait déterminer si le juge administratif était compétent pour contrôler indirectement la constitutionnalité d’une directive européenne.

 

La solution de l’arrêt Arcelor

Dans son arrêt Arcelor, le Conseil d’Etat retient deux fondements pour dégager sa solution :

  • l’article 55 de la Constitution selon lequel « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois ». En application de cet article 55, le Conseil d’Etat rappelle, dans la lignée de l’arrêt Sarran, que « la suprématie ainsi conférée aux engagements internationaux ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle ».
  • l’article 88-1 de la Constitution selon lequel « la République participe à l’Union européenne ». Le Conseil d’Etat déduit de cet article 88-1 une obligation constitutionnelle de transposition des directives, qui avait déjà été dégagée par le Conseil constitutionnel dans sa décision Économie numérique (Cons. const., 10 juin 2004, n° 2004-496 DC, Loi pour la confiance dans l’économie numérique).

Or ces deux principes (obligation de transposition des directives d’un côté, suprématie de la Constitution sur les engagements internationaux de l’autre) peuvent entrer en conflit lorsque la transposition d’une directive porte atteinte à un principe constitutionnel.

Afin de concilier ces deux principes, le Conseil d’Etat affirme que « le contrôle de constitutionnalité des actes réglementaires assurant directement cette transposition est appelé à s’exercer selon des modalités particulières dans le cas où sont transposées des dispositions précises et inconditionnelles ». Plus précisément, le juge administratif doit « rechercher s’il existe une règle ou un principe général du droit communautaire qui, eu égard à sa nature et à sa portée, tel qu’il est interprété en l’état actuel de la jurisprudence du juge communautaire, garantit par son application l’effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué ».

Cela conduit à distinguer deux cas :
  • si le principe constitutionnel est également contenu dans le droit de l’Union européenne, sous la forme d’un principe général du droit communautaire : alors le juge administratif, plutôt que de contrôler directement la constitutionnalité du décret, doit rechercher si le décret est conforme au droit de l’Union européenne, ce qui revient à rechercher si la directive est conforme au droit de l’Union européenne. En l’absence de difficulté sérieuse, le juge administratif doit statuer au fond, ce qui le conduira à écarter le moyen invoqué si la directive est effectivement conforme au droit de l’Union européenne. Mais si ce contrôle soulève une difficulté sérieuse, le juge administratif doit saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’une question préjudicielle, afin que cette dernière apprécie la validité de la directive.
  • si le principe constitutionnel n’est pas garanti en droit de l’Union européenne par une règle ou un principe communautaire équivalent : alors le juge administratif contrôle directement la constitutionnalité du décret. Cela l’amènera inévitablement à apprécier, à travers le décret, la constitutionnalité de la directive, et à annuler le décret si les dispositions de la directive qu’il reproduit portent atteinte au principe constitutionnel. Il est alors entendu que le juge français, de sa propre initiative et contrairement à ce que veut le droit de l’Union européenne, s’autorise à contrôler la validité d’une directive au regard du droit constitutionnel. Sur ce point, l’arrêt Arcelor s’inscrit comme une confirmation de l’arrêt Sarran (CE, Ass., 30 octobre 1998) en ce qu’il consacre la prééminence de la Constitution sur toutes les autres normes applicables dans l’ordre juridique interne.

En l’espèce, le Conseil d’État a identifié en droit de l’Union européenne un principe équivalent au principe d’égalité. Mais il a considéré qu’il existait une difficulté sérieuse sur le point de savoir si la directive respectait bien le principe d’égalité. C’est pourquoi il a posé une question préjudicielle à la CJUE, ce qui lui a imposé de surseoir à statuer jusqu’à ce que la CJUE se soit prononcée sur la question.

Après que la CJUE ait jugé la directive valide (CJCE, 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine et autres), le Conseil d’État a tiré les conséquences de cette décision en validant le décret de transposition de la directive (CE, 3 juin 2009, Arcelor Atlantique et Lorraine et autres).

 

La portée de l’arrêt Arcelor

Dans un arrêt Conseil National des Barreaux du 10 avril 2008, le raisonnement de l’arrêt Arcelor a été étendu par le Conseil d’Etat au contrôle de conventionnalité des lois de transposition. Dans cette affaire, les requérants invoquaient la non-conformité d’une loi de transposition d’une directive européenne à des droits garantis par la Convention européenne des droits de l’Homme. Or ces droits étant protégés en droit de l’Union européenne comme principes généraux, le Conseil d’Etat affirme que leur respect doit être assuré, en cas de difficulté sérieuse, par la CJUE.

Plus précisément, il appartient au juge administratif de s’assurer d’abord que la loi procède à une exacte transposition des dispositions de la directive. Si tel est le cas, le juge administratif exerce son contrôle sur la compatibilité de la directive avec les droits fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l’Homme. En l’absence de difficulté sérieuse, il statue lui-même ; dans le cas contraire, il saisit la CJUE d’une question préjudicielle (CE, 10 avril 2008, Conseil national des Barreaux).

 

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