L’arrêt Dame Lamotte du 17 février 1950

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

arrêt Dame Lamotte

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L’arrêt Dame Lamotte (CE, Ass., 17 février 1950) est l’un des grands arrêts du droit administratif. En effet, cet arrêt a consacré le principe général du droit selon lequel toute décision administrative est susceptible d’un recours en excès de pouvoir.

Autrement dit, le recours en excès de pouvoir est toujours possible contre un acte administratif, même si aucun texte ne le prévoit. Il s’agit d’un recours d’ordre public.

Dans cet article, nous allons analyser plus en détails cet arrêt Dame Lamotte, en évoquant notamment les faits de l’affaire, le sens et la portée de l’arrêt Dame Lamotte.

 

Les faits

Les faits sont assez complexes. Je vais tâcher de les simplifier le plus possible. Et ne vous inquiétez pas, j’ai de toute façon inclus dans la suite de cet article un schéma explicatif qui devrait bien vous aider.

D’abord, il faut comprendre qu’une loi du 27 août 1940 autorisait les préfets à concéder à des tiers les exploitations abandonnées ou incultes (c’est-à-dire non cultivées) depuis plus de deux ans aux fins de mise en culture immédiate.

En application de cette loi du 27 août 1940, le préfet de l’Ain prend, le 29 janvier 1941, un arrêté par lequel il concède à un tiers, « pour une durée de neuf années entières et consécutives qui commenceront à courir le 1er février 1941 », un domaine appartenant à la dame Lamotte.

Le 24 juillet 1942, le Conseil d’Etat annule cette décision de concession du préfet de l’Ain au motif que le domaine « n’était pas abandonné et inculte depuis plus de deux ans ». On se souvient en effet qu’en vertu de la loi du 27 août 1940, la concession d’un domaine n’est possible que si le domaine est abandonné ou inculte depuis plus de deux ans.

Le 9 avril 1943, le Conseil d’Etat suit le même raisonnement et annule un autre arrêté du préfet de l’Ain, cette fois en date du 20 août 1941, qui avait concédé au tiers d’autres terres appartenant à la dame Lamotte.

Ainsi à ce stade, les terres de la dame Lamotte avaient fait l’objet d’un arrêté de concession à deux reprises (si l’on met de côté un arrêté de réquisition en date du 2 novembre 1943), avant que ces arrêtés ne soient annulés par le Conseil d’Etat.

Pourtant, le 10 août 1944, le préfet de l’Ain prend de nouveau un arrêté par lequel il concède au tiers les terres de la dame Lamotte.

La dame Lamotte forme alors une réclamation devant le conseil de préfecture interdépartemental de Lyon qui, par un arrêté du 4 octobre 1946, annule l’arrêté du 10 août 1944 pris par le préfet de l’Ain.

Mais la situation est cette fois différente. En effet, une loi du 23 mai 1943 disposait que « l’octroi de la concession ne peut faire l’objet d’aucun recours administratif ou judiciaire« . En d’autres termes, le conseil de préfecture de Lyon aurait dû rejeter la réclamation de la dame Lamotte.

C’est sur ce fondement que le ministre de l’Agriculture défère au Conseil d’Etat l’arrêté du 4 octobre 1946. Il réclame l’annulation de cet arrêté puisque le recours de la dame Lamotte n’était pas ouvert en vertu de la loi du 23 mai 1943.

Si vous avez des difficultés à comprendre les faits, sachez que c’est normal. Je vous l’ai dit : ils sont assez complexes. Ce schéma explicatif devrait vous être utile :

 

Schéma explicatif des faits de l'arrêt Dame Lamotte

 

A ce propos, si vous aimez ce genre de schémas, dites-le moi dans les commentaires à la fin de cet article. J’essaierai d’en faire d’autres pour mes prochaines analyses d’arrêts.

Bref, revenons à nos moutons. La question que le ministre de l’Agriculture posait au Conseil d’Etat était la suivante : puisque la loi du 23 mai 1943 interdit les recours administratifs et judiciaires contre les décisions de concession, faut-il annuler l’arrêté du 4 octobre 1946 pris par le conseil de préfecture de Lyon qui a accueilli le recours de la dame Lamotte ?

 

La solution retenue par l’arrêt Dame Lamotte

Dans son arrêt Dame Lamotte du 17 février 1950, le Conseil d’Etat affirme que si la loi du 23 mai 1943 a pour effet de supprimer le recours de la dame Lamotte devant le conseil de préfecture pour contester la régularité de la concession, « elle n’a pas exclu le recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat contre l’acte de concession, recours qui est ouvert même sans texte contre tout acte administratif, et qui a pour effet d’assurer, conformément aux principes généraux du droit, le respect de la légalité ».

Pourtant, on se souvient qu’en application de la loi du 23 mai 1943, une décision de concession ne peut faire l’objet d’aucun recours administratif ou judiciaire. Dès lors, le recours en annulation exercé par la dame Lamotte aurait dû être jugé irrecevable par le juge administratif.

Mais le Conseil d’Etat consacre un principe général du droit selon lequel tout acte administratif peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, même en l’absence de texte.

Le Conseil d’Etat prend le soin de relever que la loi du 23 mai 1943 n’a pas explicitement exclu le recours pour excès de pouvoir. Dès lors, ce recours, qui s’applique même sans texte contre toute décision administrative, reste ouvert en l’espèce.

Par conséquent, il y a effectivement lieu d’annuler l’arrêté du conseil de préfecture de Lyon du 4 octobre 1946, mais ce n’est pas tout. Il y a également lieu, pour le Conseil d’Etat, de statuer, comme juge de l’excès de pouvoir, sur le recours formé par la dame Lamotte en annulation de l’arrêté pris par le préfet de l’Ain le 10 août 1944.

On le rappelle : le recours en excès de pouvoir permet de demander au juge de contrôler la légalité d’un acte administratif. Si l’acte est illégal, il est annulé.

En l’espèce, le Conseil d’Etat procède donc à un contrôle de la légalité de l’arrêté du 10 août 1944 ; il considère que cet arrêté a été pris par le préfet de l’Ain pour faire délibérément obstacle à une décision du Conseil d’Etat statuant au contentieux, et qu’il est donc entaché de détournement de pouvoir. C’est pourquoi cet arrêté est annulé par le Conseil d’Etat.

Au final, la dame Lamotte obtient gain de cause : la dernière décision préfectorale de concession est annulée.

 

La portée de l’arrêt Dame Lamotte

Il ressort de cet arrêt Dame Lamotte que le pouvoir réglementaire ne peut pas interdire les recours en excès de pouvoir contre ses décisions. Et de manière générale, le législateur, à moins qu’il n’ait clairement manifesté une volonté contraire, ne peut pas non plus interdire les recours en excès de pouvoir.

Cette solution a été confirmée à de nombreuses reprises.

En particulier, la Cour de justice de l’Union européenne a consacré le droit à exercer un recours effectif contre les décisions administratives comme un principe général du droit communautaire (CJUE, 15 mai 1986, Johnston).

De manière générale, il est difficilement imaginable que le législateur puisse interdire les recours en excès de pouvoir pour certaines décisions. En effet, l’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacre le droit à un recours effectif pour toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la Convention auraient été violés. En outre, dans deux décisions du 21 janvier 1994 (n°93-335 DC) et du 9 avril 1996 (n°96-373 DC), le Conseil constitutionnel a donné une valeur constitutionnelle au droit des individus à un recours effectif en cas d’atteintes substantielles à leurs droits.

 

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