L’arrêt Derguini du 9 mai 1984

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

arrêt derguini

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L’arrêt Derguini (Cass. Ass. Plén. 9 mai 1984, n° 80-93.481) fait partie des grands arrêts du droit de la responsabilité civile. Il traite de la faute, et plus précisément des élements constitutifs de la faute. On sait en effet que pour être caractérisée, la faute requiert un comportement humain illicite (soit un acte positif soit une abstention). Il faut donc qu’un humain fasse ou ne fasse pas quelque chose pour qu’il y ait faute.

Mais la faute nécessite-t-elle également un élément subjectif ? Faut-il avoir conscience des conséquences de son acte pour commettre une faute au sens du droit de la responsabilité civile ? De manière plus générale, faut-il être doué de discernement pour pouvoir commettre une faute ?

C’est à cette question que répond l’arrêt Derguini. Intéressons-nous d’abord aux faits de cet arrêt.

 

Les faits de l’arrêt Derguini

Une jeune fille de 5 ans, du nom de Fatiha, s’engage brusquement dans la traversée d’une route sur un passage protégé. L’irruption sur la chaussée ayant été soudaine, elle est alors renversée par une voiture. A la suite de cet accident, Fatiha décède.

Naturellement, les parents de la jeune fille assignent en responsabilité le conducteur de la voiture afin d’obtenir indemnisation de leur préjudice.

 

La procédure

Le 21 janvier 1977, le Tribunal correctionnel de Thionville rend un jugement dans lequel il décide d’un partage de responsabilité entre le conducteur de la voiture et la jeune fille. En effet, le tribunal correctionnel retient la faute du conducteur, mais également celle de la jeune fille en ce qu’elle n’avait pas à traverser la route alors qu’une voiture était sur le point de passer. La faute de la victime étant une cause d’exonération partielle de responsabilité, la responsabilité du conducteur est donc réduite, tous comme les dommages et intérêts octroyés aux parents de la jeune fille. Plus précisément, le tribunal correctionnel considère que la petite fille est responsable pour moitié de l’accident. Ce faisant, les parents ont droit à des dommages et intérêts, mais seulement à hauteur de la moitié de leur préjudice.

Mécontents de cette décision, les parents décident de faire appel. L’affaire est portée devant la Cour d’appel de Metz, qui statue le 1er juillet 1977. La décision de la Cour d’appel de Metz n’est pas reproduite dans l’arrêt Derguini. Toujours est-il que suite à cette décision, les parents de la victime forment un pourvoi en cassation.

Dans un arrêt du 13 décembre 1978, la Chambre Criminelle de la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Metz et renvoie la cause et les parties devant la Cour d’appel de Nancy.

La Cour d’appel de Nancy rend sa décision le 9 juillet 1980. Elle confirme le jugement du Tribunal correctionnel de Thionville en date du 21 janvier 1977. Ainsi, selon la Cour d’appel, la responsabilité est partagée entre le conducteur de la voiture et la jeune fille. Chacun est responsable pour moitié de l’accident. En particulier, la jeune fille a commis une faute en traversant le passage alors que la voiture arrivait. Le fait que la jeune fille soit âgée de 5 ans et donc qu’elle ne soit pas douée de discernenemt, est indifférent.

Une nouvelle fois, les parents de la jeune fille décident de se pourvoir en cassation. Pour eux, la faute n’est caractérisée qu’en présence d’un élément subjectif ; il faut avoir conscience de la portée de son acte pour pouvoir commettre une faute. Or il est clair que Fatiha, âgée de 5 ans, n’était pas en mesure de discerner les conséquences de ses actes. Par conséquent, elle n’a pas commis de faute et seule la faute du conducteur doit être retenue comme cause du dommage.

La question qui était posée à la Cour de cassation était donc la suivante : un enfant (qui plus est âgé de 5 ans) peut-il commettre une faute au sens du droit de la responsabilité civile ? Autrement dit, pour commettre une faute, faut-il être capable de discerner les conséquences de ses actes ?

 

L’arrêt Derguini : la consécration de la faute objective

Dans son arrêt Derguini, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation met fin au débat ; la jeune fille, en s’engageant sur la route alors qu’une voiture arrivait, a bien commis une faute au sens de l’ancien article 1382 du Code civil (aujourd’hui article 1240 du Code civil). La Haute Juridiction relève que selon l’arrêt de la Cour d’appel de Nancy, l’irruption intempestive de la jeune fille sur la route « avait rendu impossible toute manoeuvre de sauvetage de l’automobiliste ». Par conséquent, la Cour d’appel a pu valablement retenir que la jeune fille avait commis une faute qui avait concouru, avec celle du conducteur, à la réalisation du dommage dans une proportion souverainement appréciée.

La responsabilité est donc partagée entre le conducteur de la voiture et la jeune fille, et l’indemnisation des parents est réduite.

L’Assemblée Plénière de la Cour de cassation ajoute que la Cour d’appel « n’était pas tenue de vérifier si la mineure était capable de discerner les conséquences de tels actes ». C’est dire qu’on peut commettre une faute sans avoir conscience de la portée de ses actes. L’élément subjectif (en l’occurrence le discernement) n’est plus un élément constitutif de la faute. Un simple fait humain illicite est suffisant. C’est la consécration de la définition objective de la faute.

Cet arrêt Derguini doit être analysé en parallèle d’un autre arrêt rendu le 9 mai 1984 par l’Assemblée Plénière : l’arrêt Lemaire (Cass. Ass. Plén. 9 mai 1984, n° 80-93.031). Dans son arrêt Lemaire, l’Assemblée Plénière juge également qu’un mineur peut commettre une faute ayant contribué à la réalisation de son propre dommage, et par conséquent qu’on peut commettre une faute même si l’on n’est pas capable de discerner les conséquences de ses actes.

On voit donc que la Cour de cassation a clairement souhaité mettre fin à la nécessité d’un élément subjectif pour caractériser la faute. Ces arrêts Derguini et Lemaire représentent une rupture en ce qu’auparavant, il n’était pas possible d’engager la responsabilité d’un mineur dépourvu de discernement.

Ces deux arrêts ont fait jurisprudence. Aujourd’hui, il ne fait pas de doute qu’un mineur peut commettre une faute (Cass. Civ. 2ème, 20 oct. 2016, n° 15-25.465). Le discernement n’est plus une condition de la faute.

 

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  • KABRE GOUWENDMALGRE JULIEN dit :

    Bonjour et infiniment merci pour le coup de pouce.

  • Bonsoir Monsieur, je n’arrive à faire le commentaire de l’arrêt Clément BAYARD, chambre des requêtes 3 Août 1915. Je sollicite votre aide svp

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