L’arrêt Fragonard du 24 mars 1987

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

arrêt Fragonard

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De même que l’arrêt Poussin (Cass. Civ. 1ère, 22 février 1978, n° 76-11.551), l’arrêt Fragonard (Cass. Civ. 1ère, 24 mars 1987, n° 85-15.736) traite de l’erreur en droit des contrats.

Cet arrêt a affirmé que la nullité du contrat pour erreur sur la substance de la chose objet du contrat ne peut être demandée que s’il n’existait pas une incertitude, un doute qui faisait partie du contrat (dont les contractants avaient conscience et qu’ils avaient accepté). Autrement dit, si les contractants ont accepté un aléa sur la prestation objet du contrat, alors ils ne peuvent invoquer la nullité du contrat pour erreur si, après la conclusion du contrat, ce sur quoi il existait un doute se réalise effectivement.

Il faut préciser que l’arrêt Fragonard a été rendu bien avant la réforme du droit des contrats de 2016. Dès lors, le visa de l’arrêt n’est pas l’actuel article 1132 du Code civil, selon lequel l’erreur est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due, mais l’ancien article 1110 du Code civil qui affirmait que “l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet”.

L’idée est toutefois similaire : pour entraîner la nullité du contrat, l’erreur doit porter sur ce pour quoi les parties se sont engagées, et non pas sur des obligations anecdotiques du contrat. Cependant, que se passe-t-il si effectivement la substance de la chose, après la conclusion du contrat, est différente de ce que les parties pensaient qu’elle était avant la conclusion du contrat, mais que les parties avaient conscience de cette possible évolution et l’avaient accepté ? Peut-on considérer qu’il y a erreur dans ce cas précis ?

L’arrêt Fragonard est venu répondre à cette question.

 

Les faits

En 1933, un tableau est vendu aux enchères publiques comme étant « attribué » au peintre Jean-Honoré Fragonard.

Après la vente, le tableau est reconnu comme étant une oeuvre authentique de Fragonard.

Le vendeur décide de demander la nullité de la vente pour erreur sur la substance.

 

La procédure et les prétentions des parties

Le 12 juin 1985, la Cour d’appel de Paris refuse d’annuler la vente pour erreur : puisqu’au moment de la vente, le tableau était « attribué » à Fragonard, il était possible qu’il soit effectivement un Fragonard. Le vendeur avait nécessairement accepté cette incertitude, et ne peut donc pas alléguer d’une erreur en cas de dissipation ultérieure de l’incertitude.

Les héritiers du vendeur ayant repris l’action, ils décident de former un pourvoi en cassation. Dans la première branche du pourvoi, ils reprochent à la Cour d’appel de s’être déterminée au motif essentiel que l’expression « attribué à » laisse planer un doute sur l’authenticité de l’oeuvre mais n’en exclut pas la possibilité. Selon eux, la Cour d’appel n’aurait pas dû s’attacher seulement à déterminer le sens objectif de la mention  » attribué à » mais aurait dû rechercher quelle était la conviction du vendeur. Ils soutiennent en particulier que le vendeur était persuadé, à la suite des avis formels des experts, que l’authenticité de l’oeuvre était exclue. Dans une deuxième branche, ils soutiennent que même si le vendeur n’avait pas la conviction certaine que le tableau n’était pas un Fragonard, il y avait en tout cas eu une discordance entre sa conviction (possible attribution à Fragonard) et la réalité (attribution certaine à Fragonard).

 

Le problème de droit

Les arguments du pourvoi rappellent l’enseignement tiré de l’arrêt Poussin du 22 février 1978, qui a affirmé qu’un simple doute sur l’authenticité d’un tableau, révélé après la vente du tableau, suffisait pour que le vendeur, qui avait la conviction certaine que le tableau n’était pas authentique, puisse demander la nullité du contrat pour erreur. Toutefois, dans l’affaire Poussin, le tableau n’avait pas été vendu comme étant attribué à Poussin.

En l’espèce, dans l’affaire Fragonard, les faits étaient différents : le tableau avait été vendu comme étant attribué à Fragonard. Dès la conclusion de la vente, il existait un doute sur son attribution. Dès lors, la question posée à la Cour de cassation ne concernait pas la présence du doute après la vente. En réalité, la Cour de cassation devait se prononcer sur le cas où il existait un doute dès le moment de la vente.

Ainsi, il revenait à la Cour de cassation de déterminer si le doute quant à la chose objet du contrat, accepté par les parties au moment de la conclusion du contrat, exclut toute possibilité ultérieure de demander la nullité du contrat pour erreur. Plus simplement, l’acceptation d’un aléa sur une qualité de la prestation exclut-elle l’erreur relative à cette qualité ?

 

La solution de l’arrêt Fragonard

Dans son arrêt Fragonard du 22 février 1978, la Cour de cassation a répondu de manière positive à cette question. Elle a donc rejeté le pourvoi formé par les héritiers du vendeur.

La Cour adopte un raisonnement en deux temps. D’abord, elle relève qu’il résulte des énonciations souveraines des juges du fond que les contractants ont accepté un aléa sur l’authenticité de l’oeuvre, et que les héritiers du vendeur ne rapportent pas la preuve, qui leur incombe, que ce dernier a consenti à la vente de son tableau sous l’empire d’une conviction erronée quant à l’auteur de celui-ci. Dès lors, le moyen ne peut être accueilli en sa première branche.

En ce qui concerne la deuxième branche, la Cour de cassation affirme avec force que : « ainsi accepté de part et d’autre, l’aléa sur l’authenticité de l’oeuvre avait été dans le champ contractuel« . En conséquence, « aucune des deux parties ne pouvait alléguer l’erreur en cas de dissipation ultérieure de l’incertitude commune, et notamment pas le vendeur ni ses ayants-cause en cas d’authenticité devenue certaine ». La deuxième branche du moyen est également rejetée.

Il faut comprendre que si l’aléa, le doute sur la chose objet du contrat, était entré dans le champ contractuel au moment de la conclusion du contrat, alors il est impossible de demander la nullité du contrat pour erreur si le doute se dissipe après la conclusion du contrat.

En l’espèce, puisque le tableau avait été vendu comme étant « attribué » à Fragonard, il existait dès la conclusion de la vente un aléa quant à l’authenticité de l’oeuvre. Les parties étaient conscientes que le tableau pouvait soit être effectivement un Fragonard, soit ne pas l’être, soit rester simplement « attribué » à Fragonard. Dans tous les cas, les parties avaient accepté le caractère aléatoire de la nature du tableau. Ainsi, il n’y a pas de discordance entre ce que croyait le vendeur au moment de la conclusion du contrat et la réalité après la conclusion du contrat puisque le vendeur était pleinement conscient de la possible authenticité du tableau. C’est pourquoi il n’est pas recevable à invoquer une erreur sur la substance.

La solution dégagée dans cet arrêt Fragonard doit être analysée en parallèle de celle de l’arrêt Poussin.

Au final, si le doute apparaît après la conclusion du contrat alors que le contractant était convaincu de manière certaine de l’absence de doute, alors ce dernier pourra invoquer la nullité du contrat pour erreur. C’est ce que dit l’arrêt Poussin.

En revanche, si le doute existait dès la conclusion du contrat, avait été accepté par les parties mais s’est dissipé après la conclusion du contrat, alors la nullité du contrat pour erreur n’est pas recevable. C’est ce que dit l’arrêt Fragonard.

 

La portée de l’arrêt Fragonard

Les décisions ultérieures qui ont eu à connaître de la question n’ont pas contredit cette solution de principe.

Aujourd’hui, ce principe est inscrit dans le Code civil. L’article 1133 alinéa 3 du Code civil affirme que « l’acceptation d’un aléa sur une qualité de la prestation exclut l’erreur relative à cette qualité ».

 

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