Conflit de lois dans le temps et application de la loi dans le temps

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

conflit de lois dans le temps

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La loi est la règle établie par l’autorité souveraine de l’État, définissant les droits et les devoirs de chacun et applicable à tous. Elle doit donc être certaine et prévisible pour les citoyens. Il arrive toutefois que la loi évolue et ce type de situation peut donner lieu à ce que l’on appelle un conflit de lois dans le temps.

Concrètement, un conflit de lois dans le temps désigne une situation de concurrence entre plusieurs lois, en raison de leur succession dans le temps. Ainsi, en présence de lois qui se succèdent, laquelle faut-il appliquer à une situation juridique donnée ?

Par exemple, on sait que le droit des contrats a été réformé en profondeur par l’ordonnance du 10 février 2016, entrée en vigueur le 1er octobre 2016. Mais ce n’est pas tout ! La loi du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance de 2016 a également apporté des modifications. Cette loi est entrée en vigueur le 1er octobre 2018. Dès lors, quel droit faut -il appliquer à un contrat conclu en avril 2016 par exemple ? Et à un contrat conclu en juin 2018 ? Il y a ici un conflit de lois dans le temps.

Cet article vise à expliciter comment est résolu un conflit de lois dans le temps. Nous nous intéresserons dans un premier temps à l’application de la loi dans le temps, avant de nous pencher à proprement parler sur la résolution des conflits de lois dans le temps.

 

L’application de la loi dans le temps

 

Le principe est qu’une loi est applicable de son entrée en vigueur à son abrogation.

 

L’entrée en vigueur de la loi

En ce qui concerne l’adoption de la loi, le Premier ministre a l’initiative des projets de loi et les membres du Parlement (l’Assemblée nationale et le Sénat) des propositions de loi. La loi doit être votée par l’Assemblée nationale et par le Sénat dans des termes identiques.

Suite à son adoption, le Président de la République promulgue la loi par décret dans les 15 jours du vote du Parlement. La promulgation de la loi authentifie la régularité de la loi et en ordonne l’exécution. C’est également la promulgation qui donne à la loi une date (qui n’est pas la même que sa date d’entrée en vigueur).

La loi doit ensuite être publiée au Journal Officiel (sur papier ou dans sa version électronique) en vue d’être accessible à tous et de pouvoir être appliquée par tous. En effet, et comme le dit le célèbre adage : « Nul n’est censé ignorer la loi ». A partir du moment où la loi devient accessible à tous, il n’est plus possible de se prévaloir de son ignorance pour ne pas l’appliquer. Inversement, en l’absence de publication, la loi ne peut pas s’appliquer.

Concernant le délai d’entrée en vigueur de la loi, si aucun délai d’entrée en vigueur n’est précisé dans la loi, celle-ci est rendue obligatoire au lendemain de sa publication (article 1er du Code civil). Il est toutefois fréquent qu’une loi comporte une date d’entrée en vigueur. Ainsi, la loi précitée du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance de 2016 est entrée en vigueur le 1er octobre 2018. Cette date était prévue dans la loi elle-même.

 

L’abrogation de la loi

L’abrogation de la loi doit émaner d’un texte de même nature ou d’une force supérieure selon la hiérarchie des normes. Par exemple, il faut au moins une loi pour abroger une loi.

L’abrogation peut être expresse ou tacite :

  • Elle est expresse si les dispositions abrogées sont disposées dans le nouveau texte.
  • Elle est tacite si de nouvelles dispositions incompatibles avec celles de la loi ancienne sont promulguées dans la loi nouvelle.

 

Le conflit de lois dans le temps

 

Il existe des principes d’application de la loi dans le temps qui permettent de résoudre les situations de conflit de lois dans le temps.

 

Le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle

Le premier principe fondamental pour résoudre un conflit de lois dans le temps est le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle.

Admettons qu’une loi en vigueur soit abrogée par une nouvelle loi. Bien entendu, certaines situations juridiques nées sous l’empire de la loi anciennement en vigueur vont se poursuivre après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Dès lors, la question est de savoir si ces situations seront régies par la loi ancienne ou par la loi nouvelle.

Parfois, la loi nouvelle précise elle-même son application dans le temps.

Par exemple, l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats comprenait des dispositions transitoires. L’article 9 de l’ordonnance prévoyait ainsi que les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeurent soumis à la loi ancienne. Seuls les contrats conclus à compter de cette date sont donc soumis au nouveau droit.

De même, la loi Badinter du 5 juillet 1985 sur les accidents de la circulation prévoyait son application même aux accidents survenus dans les trois années précédant sa publication, dès lors que le litige n’avait pas été définitivement tranché en justice.

Hormis ces cas particuliers, la solution à un conflit de loi dans le temps est contenue dans l’article 2 du Code civil, selon lequel « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ».

En effet, en droit civil, le principe est que la loi nouvelle ne peut pas s’appliquer à des faits qui ont eu lieu avant son entrée en vigueur. Elle ne dispose que pour l’avenir et n’a donc pas d’effet rétroactif.

Ce même principe s’applique en droit pénal. Il est consacré dans le Code pénal (article 112-1 du Code pénal) et à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, lui conférant ainsi une valeur constitutionnelle en droit pénal.

Il existe toutefois de nombreuses exceptions au principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle.

En droit civil, où le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle n’a pas valeur constitutionnelle, le législateur peut adopter une loi qui s’appliquera aux situations nées avant son entrée en vigueur s’il précise expressément qu’elle est rétroactive. Cette dérogation au principe de non-rétroactivité se justifie généralement par un motif d’intérêt général.

En outre, certaines lois sont rétroactives par nature. On peut citer :

  • Les lois pénales plus douces : Une loi pénale plus douce est une loi qui supprime une incrimination ou qui prévoit une peine moins lourde. Si une loi pénale plus douce que celle en vigueur précédemment entre en vigueur, elle s’appliquera aux infractions commises avant son entrée en vigueur. Par exemple, la loi du 9 octobre 1981 abolissant la peine de mort a été appliquée aux crimes commis avant son entrée en vigueur. Les peines de mort ont été remplacées par des peines de réclusion criminelle à perpétuité.
  • Les lois interprétatives : Ce sont des lois qui permettent d’interpréter et de clarifier certaines dispositions considérées comme obscures d’une loi déjà en vigueur. Par exemple, la loi du 20 avril 2018 de ratification de l’ordonnance de 2016 comporte à la fois des modifications de fond et des modifications interprétatives. Les modifications de fond, conformément au principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle, ne s’appliquent qu’aux contrats conclus après le 1er octobre 2018, date d’entrée en vigueur de la loi du 20 avril 2018. Mais les modifications interprétatives, en ce qu’elles ne changent pas le fond du droit mais ne font qu’interpréter le droit existant, sont rétroactives et donc applicables à tous les contrats conclus après le 1er octobre 2016 (puisqu’avant cette date c’est le droit antérieur à l’ordonnance de 2016 qui s’applique).
  • Les lois de validation : Ce sont les lois qui tendent à valider rétroactivement un acte administratif reconnu illégal par un juge, ou susceptible de l’être. Exemple : une loi peut valider un concours de la fonction publique afin d’éviter aux candidats d’avoir à le repasser.

 

Le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle

Le second principe fondamental pour résoudre un conflit de lois dans le temps est le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle.

Initialement, en présence d’une loi nouvelle, la doctrine considérait que la loi ancienne continuait à s’appliquer dès lors qu’un droit était acquis. Mais la simple expectative quant à l’obtention d’un droit ne faisait pas obstacle à l’application de la loi nouvelle.

Le Doyen Paul Roubier a proposé une nouvelle lecture, selon laquelle la loi nouvelle s’applique immédiatement aux effets futurs des situations juridiques en cours au moment de son entrée en vigueur. C’est la théorie de l’application immédiate de la loi nouvelle.

Pour régler une situation de conflit de lois dans le temps, la jurisprudence s’inspire de ces deux théories, selon que la situation juridique soit un contrat ou non.

Pour les situations juridiques non contractuelles en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, la loi nouvelle s’applique immédiatement pour les effets à venir, et les effets passés restent soumis à la loi ancienne. C’est la consécration de la doctrine du Doyen Paul Roubier.

En matière contractuelle, la loi nouvelle ne s’applique qu’aux contrats conclus après son entrée en vigueur, et les contrats conclus avant son entrée en vigueur restent soumis à la loi ancienne. C’est ce que l’on appelle le principe de survie de la loi ancienne en matière contractuelle. A ce titre, l’ordonnance du 10 février 2016, en ce qu’elle ne s’applique qu’aux contrats conclus à compter de son entrée en vigueur, a consacré la survie de la loi ancienne en matière contractuelle. Mais deux exceptions existent.

D’abord, la loi nouvelle s’applique aux contrats conclus avant son entrée en vigueur en cas de motif d’ordre public. Par exemple, une réforme sociale importante, comme une loi qui fixe le montant du SMIC, est applicable immédiatement à tous les contrats de travail, y compris ceux conclus avant son entrée en vigueur.

Ensuite, la loi nouvelle s’applique également aux effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées (Cass. Civ 3ème, 17 nov. 2016, n° 15-24.552).

 

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