Définition, exemple et rôle de la jurisprudence

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

jurisprudence

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La définition de jurisprudence

Le terme de jurisprudence n’est pas facile à définir puisqu’il peut en réalité avoir plusieurs significations.

D’abord, on emploie le terme de jurisprudence pour désigner l’ensemble des décisions de justice produites par les cours et les tribunaux. De ce point de vue, la jurisprudence est une source du droit, au même titre que la loi ou la doctrine (pour rappel, la doctrine désigne l’ensemble des opinions émises par les théoriciens et praticiens du droit).

Mais de manière plus précise, la jurisprudence est l’ensemble des décisions de justice relatives à une question juridique donnée.

Souvent, la loi est claire et précise et les juges n’ont qu’à l’appliquer aux faits de l’affaire qui leur est soumise pour produire une décision de justice.

Cependant, il est également fréquent, en l’absence de textes législatifs ou en présence de textes qui manquent de clarté et de précision, que de véritables questions juridiques se posent et il revient alors aux juridictions (et en particulier les juridictions suprêmes que sont la Cour de cassation et le Conseil d’Etat) d’apporter une réponse.

 

Un exemple de jurisprudence

Prenons l’exemple du changement de sexe à l’état civil. Avant la loi du 18 novembre 2016, le changement de sexe n’était pas codifié dans le Code civil et la possibilité de changer de sexe à l’état civil était donc incertaine. Il revenait donc à la jurisprudence d’autoriser ou non le changement de sexe. Ainsi :

  • Dans un premier temps, le changement de sexe à l’état civil n’était pas autorisé. La Cour de cassation fondait ce raisonnement sur le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe selon lequel une personne ne peut disposer de manière pleine et entière de sa personnalité juridique (Cass. Civ. 1ère, 16 déc. 1975).
  • Dans un second temps, la France a été condamnée pour son refus de faire droit au changement de sexe à l’état civil par la Cour Européenne des Droits de l’Homme saisie de la question du transsexualisme (CEDH, 25 mars 1992, Botella c/ France). La Cour se fondait sur le droit à avoir une vie privée, qui implique d’avoir le droit à un épanouissement personnel.
  • Dans un troisième temps, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence (Cass. Ass. Plen., 11 déc. 1992) autorisant de la sorte le changement de sexe à l’état civil sous certaines conditions.

C’est cette dernière étape qui a mené à la codification du changement de sexe à l’état civil. On se rend bien compte, à travers cet exemple, qu’en l’absence d’un texte législatif, c’est bien la jurisprudence qui était en charge d’autoriser ou non le changement de sexe.

Prenons un autre exemple : celui de la responsabilité du fait des choses. Initialement (et en particulier à l’époque de l’industrialisation), les victimes d’accidents dus à des machines ne pouvaient obtenir une indemnisation de leur préjudice que sur le fondement de l’ancien article 1382 du Code civil (aujourd’hui article 1240 du Code civil).

Cet article dispose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Si un dommage était causé par une chose, la jurisprudence considérait que la chose n’était qu’un instrument de l’action de l’homme et qu’ainsi, la victime ne pouvait obtenir réparation de son préjudice qu’en engageant la responsabilité du gardien de la chose sur le fondement de l’ancien article 1382 du Code civil. Il fallait donc rapporter la preuve de la faute du gardien à l’origine du dommage, ce qui était très difficile.

Afin de mieux indemniser les victimes, la jurisprudence a proposé une nouvelle lecture de l’article 1384 alinéa 1 du Code civil (aujourd’hui article 1242 alinéa 1 du Code civil), selon lequel on est responsable du dommage causé par les « choses que l’on a sous sa garde ».

Cet article n’avait à l’origine pas vocation à être le siège d’un principe général de responsabilité du fait des choses. L’intention des rédacteurs de cet article était surtout d’annoncer les régimes spéciaux de responsabilité du fait des choses figurant aux anciens articles 1385 et 1386 du Code civil, c’est-à-dire la responsabilité du fait des animaux et la responsabilité du fait des bâtiments en ruine. Ce texte n’avait donc au final aucune valeur normative.

Toutefois, les arrêts Teffaine (Cass. Civ. 16 juin 1896) et Jand’heur (Cass. Ch. Réunies, 13 févr. 1930) ont consacré un principe général de responsabilité du fait des choses, en affirmant que l’ancien article 1384 alinéa 1 du Code civil est le fondement d’une présomption de responsabilité qui pèse sur celui qui a sous sa garde une chose qui a causé un dommage.

Dès lors, le propriétaire d’une machine qui a causé un dommage ne pouvait plus s’exonérer en prouvant son absence de faute. Il ne pouvait s’exonérer de sa responsabilité qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère dans la réalisation du dommage, ce qui a rendu l’indemnisation des victimes beaucoup plus facile.

On voit donc que la jurisprudence peut interpréter, faire évoluer les textes de loi existants afin de les adapter aux réalités de la société.

 

Le rôle de la jurisprudence

 

La jurisprudence est donc principalement utile dans deux cas :

  • Quand la loi est imprécise ou manque de clarté : le juge devra alors l’interpréter en vue de l’appliquer. Essentiellement, le rôle de la jurisprudence sera ici de rechercher le sens de la loi.
  • Quand la loi est incomplète ou silencieuse sur une question juridique donnée : le juge devra alors la compléter, en faisant appel à ses propres connaissances. La jurisprudence semble donc avoir également un rôle dans la création du droit.

 

Le rôle interprétatif de la jurisprudence

La jurisprudence a d’abord un rôle interprétatif de la loi. Ce rôle interprétatif résulte de l’obligation légale qu’a le juge d’interpréter la loi.

L’obligation légale pour le juge d’interpréter les textes de loi

Le juge a une obligation légale d’interprétation de la loi, dans le but d’éviter le déni de justice : « Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice » (article 4 du Code civil).

Ainsi, le manque de clarté ou de précision de la loi ne peut pas constituer une excuse pour le juge ! Ce dernier doit juger l’affaire qui lui est soumise, même si la loi est mal écrite, incomplète ou complètement silencieuse sur la question juridique qui lui est posée.

Par ailleurs, le législateur laisse parfois dans les textes de loi des notions floues ou larges pour que les juges puissent les interpréter, les faire évoluer et les adapter à différentes situations. Par exemple, les notions de bonne foi, ou encore de bon père de famille seront interprétées différemment selon les faits de l’espèce.

L’idée est que les juges sont plus proches des individus et des réalités de la société. Par conséquent, ils doivent disposer d’une certaine souplesse pour pouvoir bien juger les différentes affaires qui leur sont soumises.

Il est donc clair que le juge a d’abord un rôle d’interprète de la loi. Il convient maintenant de s’intéresser aux méthodes qu’utilise le juge pour interpréter la loi.

Les méthodes d’interprétation

Les juges utilisent divers procédés pour interpréter les textes de loi:

  • L’interprétation par analogie : Il s’agit d’étendre une règle à une situation semblable à celle pour laquelle la règle a été créée initialement.
  • L’interprétation a fortiori : Il s’agit de dégager une vérité d’une autre vérité déjà admise, mais avec plus de force. Si une solution de droit est prévue pour un cas particulier, le juge l’appliquera pour un cas d’espèce plus net que le cas particulier.
  • L’interprétation a contrario : Si une règle s’applique quand certaines conditions sont remplies, il peut être déduit que la règle inverse s’applique lorsque les conditions ne sont pas remplies.

En outre, les juges doivent respecter certaines règles pour interpréter la loi, qui prennent la forme de maximes:

  • Les dispositions spéciales dérogent aux dispositions générales : Si une loi spéciale plus précise s’applique à une situation, alors c’est elle qui s’applique, et non le principe général.
  • Là où la loi ne distingue pas, il ne faut pas distinguer : Il s’agit de ne pas introduire des exceptions ou des conditions dans une loi là où elles n’ont pas été prévues par le législateur.
  • Les exceptions doivent être interprétées strictement : Le champ d’application des exceptions ne doit pas être étendu au-delà de ce qui est prévu par les textes.

 

La jurisprudence : un rôle dans la création du droit ?

Les obstacles au rôle créateur de la jurisprudence

Il existe plusieurs limites au rôle qu’a la jurisprudence dans la création du droit.

D’abord, l’article 5 du Code civil interdit aux juges de prononcer des arrêts de règlement : « Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises » (article 5 du Code civil).

Les arrêts de règlement sont des arrêts qui énoncent une règle générale qui serait applicable aux cas similaires. Ce type d’arrêts était valable sous l’Ancien Régime, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Dès lors, le jugement rendu pour un litige doit être applicable à ce litige seul et ne pas établir un précédent qui devra être suivi par les autres juges. Les juges ne doivent pas non plus se sentir liés par une décision rendue précédemment.

A noter que les juridictions suprêmes peuvent rendre des arrêts de principe, qui invitent les juridictions inférieures à statuer dans un sens, sans pour autant les y contraindre. Il y a donc une différence entre les arrêts de principe et les arrêts de règlement, puisque dans le second cas les autres juges seraient tenus de statuer dans le même sens.

Ce principe de prohibition des arrêts de règlement se comprend au regard du principe de l’autorité de la chose jugée qui figure à l’article 1355 du Code civil. Le principe d’autorité de la chose jugée implique en effet que les décisions de justice ont seulement une autorité relative et limitée au litige qu’elles ont tranché. Seule la solution donnée au litige a autorité de la chose jugée, pas la règle de droit abstraite qui a été utilisée pour résoudre le litige.

En outre, si les juges ne sont pas contraints d’appliquer les décisions rendues par les juridictions supérieures, leurs interprétations peuvent être censurées par la Cour de cassation qui poursuit un objectif d’unicité de la jurisprudence, pour éviter des divergences entre les différentes juridictions.

De même, une loi peut très bien venir casser une jurisprudence.

Le rôle créateur de la jurisprudence se trouve donc limité à plusieurs égards.

Cependant, force est de constater que malgré ces limites, la jurisprudence dispose bien d’un certain pouvoir créateur.

La consécration du rôle créateur de la jurisprudence

En application de l’article 4 du Code civil, le juge a l’obligation légale de statuer.

Dès lors, il devra juger l’affaire, même si la loi est complètement silencieuse sur la question juridique qui lui est soumise.

Ainsi, dans le cas d’un litige pour lequel aucune règle de droit n’existe, les juges devront trouver une nouvelle interprétation à des règles préexistantes pour donner une solution au litige. Là s’exprime pleinement le rôle de la jurisprudence dans la création du droit. Le principe général de responsabilité du fait des choses, cité au début de cet article, est un bon exemple de création jurisprudentielle.

En outre, la jurisprudence peut aussi être consacrée par la loi. Ce système contribue à la sécurité juridique.

Ainsi, comme expliqué au début de cet article, la loi du 18 novembre 2016 a consacré la jurisprudence de la Cour de cassation relative au changement de sexe. On peut également prendre comme exemple la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (ordonnance du 10 février 2016) qui a largement codifié un droit devenu constant mais développé par la jurisprudence. En effet, l’ordonnance a en grande partie repris des solutions qui avaient été établies au fil des années par la jurisprudence. L’idée était de leur donner une valeur légale et de renforcer ainsi la sécurité juridique.

 

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