L’erreur manifeste d’appréciation en droit administratif

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

erreur manifeste d'appréciation

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L’erreur manifeste d’appréciation : définition et exemples

L’erreur manifeste d’appréciation correspond à une erreur grossière, évidente, que personne ne ferait. Elle consiste en une disproportion excessive entre les faits et la décision prise par l’administration sur leur fondement.

On peut citer quelques exemples.

Ainsi, dans une affaire, l’administration avait considéré, au regard des conditions irrégulières d’entrée et de séjour d’un étranger en France et de son absence de revenu, que la présence du sieur Pardov sur le territoire français constituait une menace pour l’ordre public. Mais selon le Conseil d’Etat, en estimant que ces faits permettaient de considérer la présence du sieur Pardov en France comme une menace pour l’ordre public, l’administration a commis une erreur manifeste d’appréciation (CE, 3 février 1975, Sieur Pardov).

On comprend bien cette décision du Conseil d’Etat. En effet, si l’entrée sur le territoire français du sieur Pardov est irrégulière, ce n’est pas pour autant que sa présence est constitutive d’une menace pour l’ordre public. Pour rappel, l’ordre public désigne la sécurité, la salubrité et la tranquillité publiques. Or dans les faits de l’espèce, rien ne vient établir que la présence du sieur Pardov menace la sécurité, la salubrité et la tranquillité publiques. Il s’agit d’une décision manifestement disproportionnée de l’administration, et donc d’une erreur manifeste d’appréciation.

Dans une autre affaire, de l’alcool avait été servi dans une discothèque à un jeune homme alors qu’il était manifestement ivre. Ce jeune homme s’était accidentellement noyé quelques heures plus tard. Le Conseil d’Etat a considéré qu’en raison de la gravité de l’infraction, de la circonstance qu’une infraction de même nature avait déjà été relevée dans l’établissement et des responsabilités pesant sur les exploitants dans la survenance de ces faits, le préfet n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en prononçant une mesure de fermeture de six mois, soit la durée maximale prévue par l’article L3332-15 du Code de la santé publique (CE, 12 décembre 2014, Ministre de l’intérieur).

Là encore, la décision du Conseil d’Etat est compréhensible ; au regard de la gravité des faits, la fermeture de la discothèque pour six mois ne semble pas être une mesure manifestement disproportionnée. Dès lors, la décision du préfet ne pouvait pas être entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

 

Le champ d’application de l’erreur manifeste d’appréciation

Pour bien comprendre ce qu’est l’erreur manifeste d’appréciation, il faut comprendre dans quels cas elle a vocation à jouer.

On sait que l’étendue du contrôle effectué par le juge administratif afin de contrôler la légalité des décisions administratives dépend de la marge de manœuvre dont dispose l’administration pour prendre sa décision :

  • Soit l’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour prendre sa décision, c’est-à-dire qu’elle dispose d’une grande marge de manœuvre. Son pouvoir de décision n’est pas encadré par les textes.
  • Soit l’administration a compétence liée, c’est-à-dire qu’elle ne dispose d’aucune marge de manœuvre pour prendre sa décision. Elle doit prendre une décision qui lui est imposée par les textes.

Très simplement, c’est lorsque l’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire que le juge se limite à contrôler l’erreur manifeste d’appréciation.

Plus précisément, lorsque l’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire, le juge n’exerce qu’un contrôle minimum. Il contrôle :

  • 5 éléments au titre de la légalité externe et de la légalité interne : l’incompétence, le vice de forme ou de procédure, l’erreur de droit, l’erreur de fait et le détournement de pouvoir.
  • Un sixième élément : l’erreur manifeste d’appréciation.

L’erreur manifeste d’appréciation joue donc dans les cas où l’administration a un pouvoir discrétionnaire pour prendre sa décision. L’idée est la suivante : en disposant d’un pouvoir discrétionnaire, l’administration a une grande liberté ; néanmoins il ne faut pas pour autant qu’elle puisse faire n’importe quoi ! C’est pourquoi le juge va contrôler les erreurs grossières et déraisonnables que pourrait faire l’administration.

Inversement, l’erreur manifeste d’appréciation ne joue pas lorsque l’administration a compétence liée. En effet, si l’administration a compétence liée, le juge exerce un contrôle normal. Il contrôle :

  • Les 5 éléments du contrôle minimum.
  • Un sixième élément : l’erreur de qualification juridique des faits. Ici, le juge vérifie que la décision prise est cohérente par rapport aux faits de l’espèce (CE, 4 avril 1914, Gomel). Il se substitue à l’administration pour apprécier si les faits sur lesquels elle s’est fondée étaient de nature à justifier la décision prise.

Ce contrôle est plus strict, plus fort que celui opéré dans le cadre de l’erreur manifeste d’appréciation. En effet, le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation ne pourra conduire à annuler que les décisions administratives manifestement disproportionnées par rapport aux faits de l’espèce. Au contraire, le contrôle de la qualification juridique des faits pourra conduire à annuler les décisions qui sont simplement injustifiées par rapport aux faits. Au final, dans le contrôle normal, toutes les erreurs peuvent être sanctionnées, pas seulement les erreurs grossières.

Il faut enfin noter que le champ du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation est de plus en plus limité. Aujourd’hui, de nombreuses décisions tombent dans le champ du contrôle normal. Par exemple, le contrôle du juge sur la décision d’expulsion d’un étranger présentant une menace grave pour l’ordre public est aujourd’hui un contrôle normal, et non plus un contrôle minimum (CE, 12 février 2014, Ministre de l’intérieur). De même, le contrôle sur le caractère violent ou pornographique d’un film n’est plus un contrôle minimum, mais un contrôle normal (CE, 1er juin 2015, Association Promouvoir). Par ailleurs, concernant les sanctions disciplinaires prises contre les fonctionnaires, depuis un arrêt Dahan du 13 novembre 2013 (CE, ass., 13 nov. 2013, Dahan), le juge n’exerce plus un contrôle limité à l’erreur manifeste d’appréciation sur l’adéquation de la sanction prononcée aux faits reprochés, mais un contrôle normal.

 

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