La force majeure en droit des contrats : définition, conditions et effets

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

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La définition de la force majeure

Le cas de force majeure est généralement défini comme un évènement imprévisible, irrésistible et extérieur au débiteur, qui l’a empêché d’exécuter correctement son obligation.

Le plus simple pour comprendre la notion est de prendre un exemple.

Admettons que vous soyez actuellement en stage dans un cabinet d’avocats. Vous vous levez un matin, prêt à aller au travail, mais vous constatez qu’il y’a une violente tempête de neige (alors qu’hier encore la météo prévoyait un ciel dégagé) qui vous met dans l’impossibilité absolue de vous rendre au cabinet : routes impraticables, plus de circulation possible. Il s’agit bien d’un cas de force majeure : vous n’y êtes pour rien, vous ne pouviez pas vous en douter, et vous ne pouvez rien faire. Si le cabinet venait à vous reprocher votre absence, vous pourriez vous exonérer de toute responsabilité en apportant la preuve d’un cas de force majeure.

tempête de neige

Imaginons maintenant que plutôt qu’une tempête de neige, vous faites face à de simples intempéries, qui rendent plus difficile l’exécution de votre obligation d’aller au travail, mais pas impossible. Alors il ne s’agit pas d’un cas de force majeure. L’évènement ne vous empêche pas réellement d’aller au travail ; la condition d’irrésistibilité n’est donc pas remplie. Vous ne pourrez pas vous exonérer de votre responsabilité si vous décidez de rester au lit !

De même, si vous avez une panne de réveil, il ne s’agit pas non plus d’un cas de force majeure ! Certes vous ne pouviez pas le prévoir. Certes vous êtes dans l’impossibilité d’arriver à l’heure au travail. Mais cette panne de réveil est de votre faute ; la condition d’extériorité n’est donc pas remplie.

On avait pu croire la condition d’extériorité disparue après deux arrêts d’assemblée plénière du 14 avril 2006 qui n’avaient retenu que l’imprévisibilité et l’irrésistibilité, mais cette condition a depuis été confirmée par la jurisprudence. La Cour de cassation a ainsi pu considérer que la force majeure « s’entend de la survenance d’un évènement extérieur, imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible lors de son exécution » (Cass. Soc., 16 mai 2012, n° 10-17.726). En réalité, si les juges ne vérifient pas toujours explicitement la condition d’extériorité, c’est parce que cette condition ne fait parfois pas débat entre les parties.

Le Code civil de 1804 ne donnait pas de définition de la force majeure. A l’occasion de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, la définition de la force majeure a fait son entrée dans le Code civil au nouvel article 1218. Cet article dispose qu’ « il y’a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un évènement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ». Ce texte reprend certains éléments de la définition de la force majeure qui avait été adoptée en jurisprudence, mais y apporte également des modifications.

 

Les conditions de la force majeure

Comme on l’a vu, trois critères sont classiquement exigés pour l’application de la force majeure en matière contractuelle : un critère d’extériorité, un critère d’irrésistibilité et un critère d’imprévisibilité.

L’extériorité

Le nouvel article 1218 du Code civil ne mentionne plus l’extériorité mais l’évènement échappant au contrôle du débiteur. Cela signifie que le débiteur ne doit être pour rien dans la survenance de la situation derrière laquelle il se retranche, qu’il s’agit de circonstances qu’il ne peut pas maîtriser.

Le fait de ne plus faire référence à l’extériorité mais à l’évènement échappant au contrôle du débiteur permet de prendre en compte certains évènements qui ne sont pas extérieurs à la personne du débiteur. On comprend que peut échapper au contrôle du débiteur aussi bien un évènement qui lui est extérieur, qu’un évènement qu’il fait naître lui-même indépendamment de sa volonté. On cite souvent l’exemple de la maladie. Si j’ai 40 de fièvre un lundi matin, je ne peux pas aller au cours de droit des obligations à la fac à 9 heures ; il s’agit bien d’un cas de force majeure. Certes l’évènement n’est pas extérieur à ma personne, mais il est apparu indépendamment de ma volonté.

A contrario, on peut penser qu’une partie ne peut donc invoquer la force majeure si elle suscite par imprudence/négligence l’apparition de l’évènement qui la met dans l’impossibilité d’exécuter son obligation, puisque l’évènement était alors dans sa sphère de contrôle. Si j’ai 40 de fièvre un lundi matin, mais que j’ai passé tout le week-end dehors torse nu alors qu’il faisait -10 degrés, l’évènement est apparu du fait de ma volonté. Il était dans ma sphère de contrôle ; la condition d’extériorité ne sera donc pas remplie.

L’irrésistibilité

L’irrésistibilité s’entend de l’impossibilité absolue pour le débiteur d’exécuter son obligation. Encore une fois, le fait que l’exécution de son obligation par le débiteur soit simplement devenue plus difficile n’est pas suffisant pour satisfaire au critère d’irrésistibilité ; il faut une impossibilité absolue, totale !

Mais le nouvel article 1218 du Code civil fait référence à un évènement dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées. Ainsi, l’irrésistibilité s’entend à la fois de l’évènement et de ses conséquences. Autrement dit, si le défendeur, sans toutefois pouvoir influer sur la survenance de l’évènement, avait la possibilité d’en éviter les conséquences néfastes, il ne peut invoquer avec succès la force majeure. Concrètement, il s’agit de rechercher si des mesures appropriées auraient pu permettre, nonobstant l’évènement considéré, que le dommage soit évité. Une certaine diligence est attendue du débiteur.

L’imprévisibilité

Le nouvel article 1218 du Code civil vient consacrer le caractère raisonnable de l’imprévisibilité ; l’évènement constitutif de force majeure ne doit pas pouvoir être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat. Ainsi l’imprévisibilité ne doit pas être entendue dans l’absolu comme un évènement totalement inconcevable, mais de manière relative et raisonnable. Ce qui importe est donc l’imprévisibilité pour un homme clairvoyant, avisé.

La réforme du droit des contrats vient donc confirmer que l’imprévisibilité doit être appréciée in abstracto : il s’agit donc d’établir si, eu égard aux connaissances communes et aux circonstances de l’espèce, mais sans tenir compte de la perception que pouvait en avoir le défendeur, l’évènement pouvait véritablement être anticipé. Il s’agit donc d’un caractère très malléable dans les mains des juges du fond.

La jurisprudence opère traditionnellement une analyse de l’évènement et de la probabilité de sa réalisation. Elle s’intéresse à l’anormalité, la soudaineté et la rareté de l’évènement. Lorsque les circonstances de l’espèce rendent la réalisation de l’évènement suffisamment probable, l’imprévisibilité de l’évènement, et partant la force majeure, ne peut être retenue. Par exemple, une grève ne constituera pas un cas de force majeure, à moins qu’il s’agisse d’une grève tout à fait inattendue et soudaine.

 

Les effets de la force majeure

Le débiteur peut s’exonérer totalement de sa responsabilité par la preuve d’un cas de force majeure. Il faut néanmoins apporter des précisions à cette solution.

Le nouvel article 1218 du Code civil énonce en effet qu’en cas d’empêchement temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue pendant la période d’impossibilité à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Cette solution avait déjà été consacrée explicitement par la Cour de cassation en 1981 : « en cas d’impossibilité momentanée d’exécution d’une obligation, le débiteur n’est pas libéré, cette exécution étant seulement suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat » (Cass. Civ. 1ère, 24 févr. 1981, n° 79-12.710).

Par exemple, dans le cas d’une maladie, l’impossibilité pour le débiteur d’exécuter son obligation est seulement temporaire. Ainsi, le contrat ne sera pas annulé mais simplement suspendu, si son exécution tardive présente encore un intérêt pour le créancier (Cass. Civ. 3ème, 22 févr. 2006). Le débiteur devra de nouveau exécuter son obligation une fois que l’évènement constitutif du cas de force majeure aura pris fin.

En revanche, en cas d’empêchement définitif, le contrat est annulé. Le nouvel article 1218 du Code civil nous explique qu’il est résolu de plein droit. Le débiteur se trouve ainsi libéré de son obligation sans que sa responsabilité ne puisse être engagée.

 

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  • Loic Villechalane dit :

    Bonjour,

    Suite à l’épidémie de coronavirus, la DAJ de Bercy a fait un communiqué sur la force majeure dans les marchés publics où elle reprend la notion d’extériorité. Je leur ai écrit à ce sujet et ils m’ont répondu que la force majeure ne recouvre pas la même définition que celle inscrite dans le code civil car les marchés publics sont des contrats administratifs.
    Pourtant, le Conseil d’Etat vise toujours le Code civil dans ses jurisprudences ou la force majeure apparaît.
    Pensez vous qu’il existe de ce fait deux définitions de la force majeure ? Une pour le droit privé et une pour le droit public ? Ou l’analyse de la DAJ vous semble erronée ?

    Merci à vous (et bon confinement)

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