La responsabilité du fait des choses : les conditions

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

la responsabilité du fait des choses

 

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On sait que depuis les arrêts Teffaine et Jand’heur, la responsabilité du fait des choses est une responsabilité de plein droit, sans exigence de faute. Mais quelles sont les conditions qui permettent de mettre en jeu cette responsabilité ?

Il existe 4 conditions pour mettre en jeu la responsabilité du fait des choses :

Lorsque les 4 conditions ci-dessus sont remplies, la responsabilité du gardien de la chose est engagée ; ce dernier doit indemniser la victime.

Cet article n’a pas vocation à traiter du dommage qui s’apprécie de la même manière en matière de responsabilité du fait des choses qu’en matière de responsabilité du fait personnel ou de responsabilité du fait d’autrui.

Il s’agira donc d’analyser les 3 autres conditions nécessaires à la responsabilité du fait des choses : la chose, le fait actif de la chose et la garde de la chose.

 

La chose

Pour engager la responsabilité du gardien de la chose, il faut d’abord être en présence d’une chose.

Le principe est que toutes les choses peuvent être sources de responsabilité, qu’elles soient meubles ou immeubles (exemples : arbres, falaises…), matérielles ou immatérielles (exemples : ondes sonores, vapeur, images télévisées…), inertes ou en mouvement, viciées ou pas, dangereuses ou non.

Ainsi, même une chose qui ne présente absolument aucun caractère de dangerosité peut entrer dans le champ d’application de l’article 1242 alinéa 1 du Code civil. On peut citer un exemple parlant : celui de la feuille de salade qui provoque la chute d’une cliente dans un hypermarché (TGI Montpellier, 13 déc. 2010).

Toutefois, il existe des exceptions à ce principe. Ainsi, l’application de la responsabilité du fait des choses est impossible pour :

  • le corps humain, car celui-ci n’est pas considéré comme une chose. Cependant, la jurisprudence applique parfois l’article 1242 alinéa 1 du Code civil à un dommage causé par le corps humain lorsque ce dernier constitue un tout avec la chose. Exemple : un choc entre deux cyclistes (Cass. Crim. 21 juin 1990). Ici la responsabilité du fait des choses sera applicable au corps humain car ce dernier constitue un tout avec le vélo, qui est bien évidemment une chose.
  • les choses sans maître ou res nullius (exemples : l’eau, l’air, la neige…) et les choses abandonnées ou res derelictae (exemple : les déchets), car elles n’ont pas de gardien.
  • les choses soumises à un régime particulier. Exemples : les animaux (article 1243 du Code civil), les bâtiments en ruine (article 1244 du Code civil), les véhicules terrestres à moteur (loi du 5 juillet 1985), les produits défectueux (loi du 19 mai 1998)…

 

Le fait actif de la chose

La deuxième condition à la responsabilité du fait des choses est que le dommage soit causé par un fait actif de la chose.

Cela signifie que la chose doit être l’instrument du dommage, qu’elle doit avoir joué un rôle actif dans la réalisation du dommage. Cette condition de rôle actif a été posée par la Cour de cassation dans son arrêt Dame Cadé du 19 février 1941. Ainsi selon la Cour : « pour l’application de l'[ancien]article 1384 alinéa 1er du Code civil, la chose incriminée doit être la cause du dommage ; que si elle est présumée en être la cause génératrice dès lors qu’inerte ou non elle est intervenue dans sa réalisation, le gardien peut détruire cette présomption en prouvant que la chose n’a joué qu’un rôle purement passif, qu’elle a seulement subi l’action étrangère génératrice du dommage« .

On comprend donc bien qu’une chose ne peut pas être source de responsabilité si elle est inerte, dans une position normale, dans un état normal et fonctionne normalement (Cass. Civ. 2ème, 11 janv. 1995 ; Cass. Civ. 2ème, 11 sept. 2014). A ce moment-là, elle n’aura en effet joué aucun rôle actif dans la survenance du dommage. Il n’y aura pas eu de fait actif de la chose puisque la chose n’aura fait que subir l’action étrangère de la victime.

Par ailleurs, l’arrêt Dame Cadé pose une présomption de rôle actif liée à l’intervention de la chose dans la réalisation du dommage. Cette présomption de rôle actif a été précisée par la suite, et notamment dans un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 28 novembre 1984. Ainsi selon la Cour, il existe une présomption de rôle actif quand la chose est entrée en contact avec le siège du dommage alors qu’elle était en mouvement. Cela semble logique car une chose qui était en mouvement et qui est entrée en contact avec la victime a vraisemblablement joué un rôle actif dans la survenance du dommage.

Toutefois, si la chose était en mouvement mais qu’elle n’est pas entrée en contact avec le siège du dommage, la présomption de rôle actif est écartée. Il appartiendra alors à la victime de rapporter la preuve du fait actif de la chose. Par exemple, le skieur qui chute à cause d’un autre skieur qui lui a coupé la route (mais qui ne l’a pas touché) doit prouver le rôle actif de la chose (Cass. Civ. 2ème, 3 avril 1978). Le rôle actif de la chose s’entend du caractère anormal de la chose dans sa position (exemple : dans un supermarché, la feuille de salade ou la peau de banane qui est sur le sol), son état (exemple : un escalier glissant) ou son fonctionnement.

Pour ce qui est des choses inertes, il n’y a pas non plus de présomption de rôle actif. Vraisemblablement, dans le cas d’une chose inerte, le dommage est plutôt dû à l’action étrangère de la victime qu’à l’intervention de la chose. Ce sera donc également à la victime de rapporter la preuve du fait actif de la chose, en démontrant le caractère anormal de la chose dans sa position, son état ou son fonctionnement.

A noter que suite à ces arrêts de principe, la jurisprudence a parfois appliqué la responsabilité du fait des choses à des choses n’ayant pas joué un rôle actif dans la survenance du dommage. Exemple : une boîte aux lettres contre laquelle on se cogne (Cass. Civ. 2ème, 25 oct. 2001).

Mais la jurisprudence la plus récente est dans la lignée de la jurisprudence traditionnelle et exige ainsi la preuve du rôle actif joué par la chose inerte pour permettre l’application de la responsabilité du fait des choses (Cass. Civ. 2ème, 27 mars 2014).

 

La garde de la chose

La garde de la chose est la troisième condition pour fonder la responsabilité du fait des choses.

La garde de la chose peut se définir comme le pouvoir de fait exercé sur la chose. Le gardien est celui qui a la garde matérielle de la chose, c’est-à-dire l’usage, la direction et le contrôle de la chose.

Premier point important : le discernement n’est pas une condition pour être gardien de la chose. Par exemple : un enfant peut être gardien de la chose (Cass. Ass. Plén., 9 mai 1984, Gabillet).

Deuxième point important : le principe est qu’il ne peut pas y avoir deux gardiens responsables d’une même chose. Mais la jurisprudence admet parfois qu’il puisse y avoir plusieurs gardiens en raison d’une garde collective. Il faut que les différents gardiens exercent des pouvoirs identiques sur la chose (Cass. Civ. 2ème, 20 nov. 1968), et qu’il n’existe aucune hiérarchie entre eux (Cass. Civ. 2ème, 8 mars 1995). La victime peut alors engager la responsabilité in solidum des différents gardiens ; chacun des gardiens pourra être tenu d’indemniser la victime. Exemple : dans le cas d’un accident de chasse avec impossibilité de déterminer le tireur, les chasseurs verront leur responsabilité engagée in solidum.

Troisième point important : la jurisprudence distingue parfois entre la garde de la structure et la garde du comportement (Cass. 5 janv. 1956, Oxygène Liquide) pour déterminer le gardien de la chose :

  • Lorsque le dommage est dû à la structure de la chose, c’est-à-dire à ses vices internes, à la manière dont elle a été constituée, c’est le fabricant qui sera considéré comme le gardien.
  • Lorsque le dommage est dû au comportement de la chose, c’est-à-dire à la manière dont elle a été utilisée, c’est le détenteur, l’utilisateur de la chose, qui sera considéré comme le gardien.

Pour de plus amples développements sur la garde de la chose, je vous invite à consulter mon article spécialement dédié à ce sujet, avec notamment une analyse de l’arrêt Franck du 2 décembre 1941. Cliquez ici pour consulter l’article.

 

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Je m’appelle Maxime Bizeau, et je suis avocat de formation, diplômé de l’école d’avocats du Barreau de Paris.

Après mon bac, je me suis lancé dans l’aventure de la licence de droit.

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  • Jean-Louis GIUPPONI dit :

    Cher Maxime,
    Vieil OPJ retraité je viens ce jour d’être amené à me repencher sur la responsabilité du fait des choses qu’on a sous sa garde à la réception de ma facture d’eau à laquelle est joint un nouveau règlement appelé à se généraliser et qui pourrait devenir le sujet d’une réflexion juridique.
    L’objet de ce règlement est lié à la volonté de l’opérateur, en l’occurence Suez, de déployer des compteurs communicants par radio-fréquences. Deux points m’interpellent en particulier :
    – 1 – Ce règlement prétend empêcher les abonnés de neutraliser la télé-relève alors qu’on pourrait considérer qu’il s’agit de légitime défense de sa santé et de celle d’autrui puisque toutes les études indépendantes montrent la dangerosité des ondes et que plusieurs recommandations tant européennes que nationale invitent à diminuer l’impact des ondes.

    -2- Et cerise sur le gâteau, pour ce faire il entend nous instituer gardien de la chose au sens de l’article 1384 qui figure dans le document alors qu’il est modifié depuis deux ans.
    Or un abonné sensé ne peut que refuser de devenir gardien d’une chose par nature dangereuse, d’autant plus qu’aucune assurance ne couvre désormais les conséquences des ondes électromagnétiques.
    J’ai des armes et la loi m’impose de prendre les dispositions pour qu’elles ne puissent présenter un danger en cas d’utilisation non autorisée ; elles sont donc sous clefs et sous mon contrôle.
    Le compteur émissif de fréquences nocives est d’autant moins sous mon contrôle que le dit règlement prétend m’empêcher de le neutraliser par enveloppement d’aluminium par exemple.
    – 3 – le même texte laisse clairement entendre que son refus est susceptible d’entraîner la résiliation du contrat, ce qui à mon humble avis n’est pas possible, d’une part parce que l’eau est une nécessité élémentaire et d’autre part en vertu de différents textes sur la consommation et maintenant sur le RGPD qui exclue que la fourniture d’un service soit conditionnée à l’acceptation de prélèvements de nos données personnelles.
    Je suis convaincu que ce sujet va s’imposer dans les mois ou années qui viennent et il n’est pas interdit de prendre un peu d’avance car c’est une question d’intérêt général que bafouent actuellement tous les opérateurs au préjudice de la population.
    Je vous souhaite une bonne continuation et bravo pour l’initiative qui facilite la vie des étudiants en droit. J’aurai aimé cela dans ma jeunesse.
    Bien cordialement.
    Jean-Louis.

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