Le recours pour excès de pouvoir : définition, conditions et effets

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

recours pour excès de pouvoir

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Le recours pour excès de pouvoir est, avec le recours de plein contentieux, un des deux principaux recours administratifs.

Dans le cadre du recours pour excès de pouvoir, le juge administratif peut annuler pour illégalité une décision administrative. Il faut bien comprendre que le juge n’est pas libre dans sa décision ; il peut simplement annuler ou valider la décision en question.

Au contraire, dans le cadre du recours de plein contentieux, le juge ne se limite pas à annuler ou valider la décision ; il peut aussi se prononcer lui-même sur l’affaire.

Par ailleurs, il est parfois obligatoire d’exercer, avant de saisir le juge, un recours gracieux ou hiérarchique auprès de l’administration. Par exemple, en matière de communication de documents administratifs, un recours préalable obligatoire doit être exercé auprès de la Commission d’accès aux documents administratifs.

 

Le recours pour excès de pouvoir : définition

Le recours pour excès de pouvoir est un recours par lequel il est possible de demander au juge administratif de contrôler la légalité d’une décision administrative. En cas d’illégalité, la décision sera annulée.

A noter qu’il existe un principe général du droit public selon lequel toute décision administrative peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (CE, Ass., 17 février 1950, Dame Lamotte). Ainsi, le recours pour excès de pouvoir est toujours possible contre une décision administrative, même si aucun texte ne le prévoit. C’est un recours d’ordre public.

A ce titre, le requérant ne peut y renoncer par avance (CE, 13 février 1948, Louarn ; CE, Ass., 19 novembre 1955, Andréani). Il ne peut pas non plus renoncer au bénéfice de la chose jugée (CE, Sect., 13 juillet 1967, École privée de filles de Pradelles).

 

Les conditions du recours pour excès de pouvoir

 

Un acte administratif pourra être déféré au juge administratif par la voie du recours pour excès de pouvoir si plusieurs conditions sont réunies. Ces conditions ont trait à l’acte en lui-même et au requérant. Il faut également respecter un certain délai pour agir.

 

Concernant l’acte

Traditionnellement, seuls les actes décisoires (c’est-à-dire les actes qui modifient ou affectent l’ordonnancement juridique) pouvaient faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

Ne pouvaient donc pas faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir les actes qui ne produisent pas d’effets juridiques, comme par exemple :

  • les actes préparatoires, c’est-à-dire les actes préparant une mesure qui interviendra plus tard. Exemples :
    • la délibération par laquelle l’organe délibérant d’une collectivité territoriale émet un vœu (CE, 30 décembre 2011, Soc. Terra 95, n° 336383).
    • les avis rendus par la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) dans le cadre de la procédure de délivrance des permis de construire (CE, 15 décembre 2010, Société Montludis, n° 334627).
  • les circulaires non impératives, c’est-à-dire les notes d’organisation interne à un service qui sont émises par le chef de service, et dont l’objet est d’interpréter le droit existant afin d’indiquer aux agents comment ils doivent appliquer une loi ou un règlement. Puisqu’elles se contentent d’interpréter le droit sans le modifier, sans produire d’effets juridiques, elles échappaient au recours pour excès de pouvoir. En revanche, les circulaires qui donnent une interprétation impérative (et pas simplement indicative) du droit existant pouvaient faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir depuis l’arrêt Duvignères de 2002 (CE, Sect., 18 décembre 2002, Duvignères).
  • les lignes directrices, par lesquelles, comme les circulaires, le chef de service indique à ses subordonnés la façon d’interpréter et de mettre en œuvre un texte. Mais à la différence des circulaires, les lignes directrices n’expliquent pas le contenu du texte ; elles définissent un cadre pour les décisions individuelles qui seront prises en application de ce texte. Il s’agit ainsi de rendre cohérente l’action des agents appartenant à un même service. De même que les circulaires non impératives, les lignes directrices ne pouvaient pas faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (CE, 3 mai 2004, Comité anti-amiante Jussieu)

Toutefois, il est aujourd’hui admis que certains actes non décisoires (qui n’ont donc pas d’effet sur l’ordonnancement juridique) peuvent également faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

Concernant les actes non décisoires, on distingue plus précisément entre :

  • les actes préparatoires, qui ne peuvent toujours pas faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ; et
  • les actes de droit souple (c’est-à-dire les actes qui ont pour objet d’orienter les comportements de leurs destinataires, mais qui ne créent pas par eux-mêmes de droits ou d’obligations, comme par exemple les circulaires, lignes directrices, instructions, recommandations, notes, présentations…), qui peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir s’ils remplissent certains critères. En effet, on considère que certains actes de droit souple peuvent tout de même faire grief à des administrés, ce qui justifie qu’ils puissent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

A ce titre, le Conseil d’Etat avait déjà admis en 2016 que les actes de droit souple prononcés par les autorités de régulation (exemple : l’Autorité des marchés financiers) pouvaient faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir s’ils étaient « de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique » ou avaient « pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent » (CE, Ass., 21 mars 2016, Sté Fairvesta International GMBH et autres).

Mais le Conseil d’Etat est allé encore plus loin dans un arrêt GISTI de 2020. Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat a affirmé que : « les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif où présentent le caractère de lignes directrices » (CE, 12 juin 2020, GISTI).

Ce faisant, la Haute juridiction administrative a étendu la recevabilité des recours pour excès de pouvoir à l’encontre des actes de droit souple puisque ne sont plus simplement visées les autorités de régulation, mais l’ensemble des autorités publiques.

En outre, il ressort de l’arrêt GISTI que les documents qui ont un caractère impératif (comme par exemple les circulaires impératives) et les lignes directrices ont des effets notables, et peuvent donc faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Ainsi, non seulement le Conseil d’Etat consacre la recevabilité du recours pour excès de pouvoir à l’encontre des lignes directrices (alors que ces actes échappaient jusqu’alors au contrôle du juge administratif), mais il faut bien comprendre que les documents impératifs et les lignes directrices ne sont pas les seuls documents qui ont de tels effets. Par exemple, les circulaires non impératives peuvent également faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir lorsqu’elles sont susceptibles d’avoir des effets notables. Sur ce point, le Conseil d’Etat abandonne donc sa jurisprudence Duvignères de 2002 qui avait conditionné la recevabilité du recours pour excès de pouvoir à l’encontre des circulaires à la présence, au sein de tels actes, de dispositions impératives.

De manière plus générale, c’est aujourd’hui la considération des effets déployés par un acte de droit souple qui détermine la recevabilité du recours pour excès de pouvoir. Si ces effets sont suffisamment importants, l’acte de droit souple, parce qu’il fait grief en dépit de son caractère non impératif, est susceptible de recours.

Par exemple, le Conseil d’Etat a admis la recevabilité d’un recours pour excès de pouvoir contre un communiqué de presse du garde des Sceaux car celui-ci était de nature à produire des effets notables (CE, 15 décembre 2021, Association de défense des libertés constitutionnelles et le syndicat unité magistrats SNM FO).

 

Concernant le requérant

Il doit justifier d’un intérêt à agir. Autrement dit, l’acte doit lui faire grief.

On peut citer quelques exemples.

Ainsi, le fait pour un requérant d’être contribuable communal suffit à lui donner un intérêt pour attaquer les mesures à caractère financier ou fiscal intéressant la commune (CE, 29 mars 1901, Casanova).

De même, le fait d’être usager d’un service public suffit pour attaquer les mesures d’organisation et de fonctionnement du service public en question (CE, 21 décembre 1906, Syndicat des propriétaires et contribuables du quartier Croix de Seguey Tivoli).

En outre, l’hôtelier d’une station touristique a intérêt à contester un arrêté qui fixe la date des vacances scolaires à une date qui ne l’arrange pas, car cette situation peut lui faire perdre une partie de son chiffre d’affaires (CE, 28 mai 1971, Damasio).

On comprend ainsi que le requérant doit souffrir d’une atteinte dans ses intérêts. Mais cette atteinte n’a pas nécessairement à être de nature financière ou économique. L’atteinte peut également être morale. Exemple : une atteinte portée à la dignité du titre d’ancien combattant (CE, 13 mai 1949, Bourgoin).

Par ailleurs, aussi bien les personnes physiques que les personnes morales peuvent exercer un recours pour excès de pouvoir. Mais comme pour les personnes physiques, les personnes morales doivent justifier d’un intérêt à agir. A ce titre, les personnes morales, aussi bien de droit public que de droit privé, auront un intérêt à agir si l’acte leur fait grief dans leurs intérêts, dans leur existence, dans leur activité…

Parfois cependant, l’intérêt à agir sera difficile à caractériser. C’est particulièrement le cas pour les recours des groupements, associations, syndicats… Ainsi :

  • Les groupements ne peuvent contester que les actes qui ont un impact direct sur les intérêts qu’ils ont pour mission de défendre (CE, 7 mars 2018, Association collectif danger aérodrome Aix-les-Milles).
  • Ils ne peuvent contester que les actes qui portent atteinte aux intérêts collectifs de leurs membres, et non ceux qui portent atteinte à leurs intérêts individuels.

 

Concernant le délai

Selon l’article R421-1 du Code de justice administrative, le délai pour exercer un recours contre une décision administrative est de « deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ».

Il s’agit du délai de droit commun en matière administrative. Le recours pour excès de pouvoir doit être effectué dans ce délai de deux mois.

Le délai court à compter de la publication de la décision s’il s’agit d’un règlement et de la notification de la décision s’il s’agit d’une décision individuelle. Concernant plus particulièrement les décisions individuelles, le délai sera non pas de deux mois, mais d’un an, si la notification ne contient pas les délais de recours ou les voies de recours possibles (CE, Ass., 13 juillet 2016, Czabaj).

Le délai est également de deux mois en cas de recours contre une décision implicite : « sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l’autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l’intéressé dispose, pour former un recours, d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet » (article R421-2 du Code de justice administrative).

Passé ce délai, l’acte ne peut plus être déféré au juge par la voie du recours pour excès de pouvoir.

 

Les effets du recours pour excès de pouvoir

Saisi d’un recours pour excès de pouvoir, le juge apprécie la légalité de l’acte à la date de son édiction. Il n’a le choix qu’entre deux solutions : valider ou annuler l’acte. Si l’acte est annulé, il est annulé à l’égard de tous les administrés, pas seulement le requérant. En outre, il est annulé de manière rétroactive ; on fait comme s’il n’avait jamais existé.

Toutefois, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, les conclusions subsidiaires tendant à l’abrogation de l’acte sont recevables (étant entendu que l’abrogation met fin aux effets de l’acte seulement pour l’avenir). Ainsi, si le juge est saisi de conclusions à fin d’annulation recevables, il peut également l’être, à titre subsidiaire, de conclusions tendant à ce qu’il prononce l’abrogation de l’acte au motif d’une illégalité résultant d’un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction. Le juge statue alors prioritairement sur les conclusions à fin d’annulation. S’il ne fait pas droit aux conclusions à fin d’annulation et si l’acte n’a pas été abrogé par l’administration depuis l’introduction de la requête, il doit se prononcer sur les conclusions subsidiaires. Il statue alors au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision. S’il constate un changement de circonstances tel que l’acte est devenu illégal, il en prononce l’abrogation (CE, Sect., 19 novembre 2021, Association des avocats ELENA France et autres).

En outre, si le principe reste l’annulation rétroactive de l’acte, le juge peut cependant moduler dans le temps les effets de l’annulation (CE, Ass., 11 mai 2004, Association AC !), s’il apparaît que l’effet rétroactif de l’annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets.

 

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