La responsabilité administrative : pour faute et sans faute

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

responsabilité administrative

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Dans un arrêt Blanco du 8 février 1873, le Tribunal des conflits a affirmé que la responsabilité de l’État doit être appréciée selon des règles qui ne sont pas celles du Code civil, lequel ne régit que les personnes de droit privé. C’est l’affirmation de la spécificité de la responsabilité administrative.

En matière de responsabilité administrative, le principe est la responsabilité pour faute. Pour engager la responsabilité de l’administration, il faut donc démontrer l’existence d’une faute, un préjudice et le lien de causalité entre les deux.

Toutefois, il existe des cas de responsabilité administrative sans faute ; la victime n’aura alors pas besoin de prouver la faute pour obtenir réparation. Elle devra simplement démontrer le préjudice et le lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice.

Avant de nous intéresser plus en profondeur à la responsabilité pour faute et sans faute de l’administration, il convient de rappeler certains principes généraux qui s’appliquent à la responsabilité administrative.

 

Les principes généraux de la responsabilité administrative

 

La responsabilité de l’administration suppose la réunion de 3 conditions :

  • Un fait générateur de l’administration.
  • Un préjudice subi par la victime.
  • Un lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice.

 

Le fait générateur

Le fait générateur peut être une faute, la réalisation d’un risque ou une rupture d’égalité devant les charges publiques.

Dans ces deux derniers cas, on est en présence d’une responsabilité sans faute. Nous y reviendrons plus tard dans cet article.

 

Le préjudice

Les caractères du préjudice

Pour être indemnisable, le préjudice doit être :

  • Certain : un préjudice purement éventuel ne peut être réparé. Pour autant, le préjudice n’a pas nécessairement à être actuel ; un préjudice futur peut être réparé s’il est certain.
  • Évaluable en argent. Exemples : perte d’un bien ou d’un revenu, atteinte à l’honneur ou à la réputation (CE, 29 décembre 2000, Treyssac), perte d’un être cher (CE, Ass., 24 novembre 1961, Letisserand)…

La réparation

Le préjudice doit être intégralement réparé.

La réparation aura lieu par le versement à la victime d’une somme d’argent, ou, plus rarement, en nature.

La date d’évaluation du préjudice

Le préjudice ne sera pas évalué à la même date selon que le dommage est causé à une personne ou à un bien :

  • Pour les dommages causés aux personnes : Ils doivent être évalués à la date du jugement de réparation du préjudice (CE, Ass., 21 mars 1947, Dame veuve Aubry).
  • Pour les dommages causés aux biens : Ils doivent être évalués à la date de réalisation du préjudice, c’est-à-dire « à la date où leur cause ayant pris fin et leur étendue étant connue, il peut être procédé aux travaux destinés à les réparer » (CE, 21 mars 1947, Compagnie générale des eaux).

 

Le lien de causalité

Les théories du lien de causalité

Comme en droit civil, le juge administratif utilise deux théories pour apprécier l’existence d’un lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice :

  • La théorie de l’équivalence des conditions : Selon cette théorie, chaque élément ayant participé à la réalisation du dommage en est une cause.
  • La théorie de la causalité adéquate : Selon cette théorie, il n’y a qu’une seule cause du dommage. Il s’agit de l’élément qui a mené directement à la réalisation du dommage, qui était susceptible de provoquer le dommage dans le cours normal des choses.

C’est la théorie de la causalité adéquate qui est généralement retenue par le juge administratif.

C’est pourquoi le juge administratif est très attentif au délai qui s’écoule entre le fait générateur et la réalisation du dommage. Dans une affaire où un détenu n’avait pas regagné sa prison après une permission de sortie, et avait commis un meurtre plus de 6 mois plus tard, le lien de causalité n’était pas établi car le délai qui s’était écoulé entre le fait générateur (permission de sortie) et le dommage (meurtre) était trop important (CE, 27 mars 1985, Mme Henry).

Les causes d’exonération

Ce sont les causes qui font disparaître le lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice. En l’absence de lien de causalité, la responsabilité de l’administration sera limitée, partiellement ou totalement. On distingue 3 causes d’exonération :

  • La force majeure : Comme en droit civil, la force majeure est un évènement extérieur au défendeur, imprévisible (l’évènement ne devait pas pouvoir être raisonnablement prévu) et irrésistible (les effets de l’évènement ne doivent pas pouvoir être évités par des mesures appropriées). Exemple : des précipitations d’une ampleur exceptionnelle qui ne se produisent que deux ou trois fois par siècle (CE, 15 novembre 2017, Société Swisslife).
cas de force majeure
C’est un cas de force majeure !
  • La faute de la victime : Il s’agit du cas où la victime a contribué à la réalisation du dommage. Exemples : une inattention, une imprudence…
  • Le fait du tiers : Il s’agit du cas où un tiers a contribué à la réalisation du dommage. Dans un tel cas, le tiers devra réparer la part du dommage qu’il a causé. A noter que cette cause d’exonération joue dans la responsabilité pour faute, mais pas dans la responsabilité sans faute (CE, 14 mai 1986, Commune de Cilaos).

 

L’imputabilité

Lorsqu’un dommage trouve sa cause dans plusieurs fautes qui, commises par des personnes différentes ayant agi de façon indépendante, portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites, la victime peut rechercher la réparation de son préjudice en demandant la condamnation de l’une de ces personnes ou de celles-ci conjointement, sans préjudice des actions récursoires que les coauteurs du dommage pourraient former entre eux (CE, 2 juillet 2010, M. Madranges).

 

La responsabilité administrative pour faute

 

Les caractères de la faute

Pour engager la responsabilité de l’administration, la faute doit être illégale ; elle doit constituer un manquement à une obligation d’agir ou de s’abstenir. Exemples : une maladresse, une imprudence, une négligence, une inertie, un défaut de surveillance…

La distinction entre la faute personnelle et la faute de service

La faute peut consister en un mauvais fonctionnement du service public ou en une faute d’un agent dans l’exercice des missions qui lui ont été conférées. Afin de déterminer qui doit réparer le préjudice (l’agent ou l’administration qui l’emploie), il faut distinguer entre la faute de service et la faute personnelle (T. confl., 30 juillet 1873, Pelletier).

La faute personnelle est la faute commise par l’agent :

  • en dehors de l’exercice de ses fonctions (exemple : l’accident causé par un militaire en permission avec son véhicule personnel : CE, 28 juillet 1951, Société Standard des pétroles) ; ou
  • dans l’exercice de ses fonctions, mais particulièrement grave ou révélant une intention de nuire (exemple : le pompier qui allume volontairement un incendie : CE, 13 mai 1991, Société d’assurance Les mutuelles unies).

Elle engage la responsabilité personnelle de l’agent, sur son patrimoine propre, devant le juge judiciaire qui applique les règles du droit civil.

En ce qui concerne la faute de service, il s’agit :

  • du mauvais fonctionnement global du service ; ou
  • d’une faute commise par un agent, mais totalement dans l’exercice de ses fonctions.

Elle engage la responsabilité de l’administration, sur le patrimoine public, devant le juge administratif qui applique les règles du droit public.

Il faut toutefois noter que la distinction entre faute de service et faute personnelle pose un problème ; si l’agent qui a commis une faute personnelle est insolvable, la victime ne pourra pas obtenir réparation de son préjudice. Ainsi, afin de faciliter l’indemnisation de la victime, le juge utilise la théorie du cumul des responsabilités, qui laisse une option à la victime :

  • Si à la fois une faute personnelle et une faute de service sont à l’origine d’un même dommage, la victime peut, au choix, demander réparation de l’intégralité de son préjudice soit à l’administration, soit à l’agent (CE, 3 février 1911, Anguet).
  • Si seule une faute personnelle, soit commise à l’occasion du service soit commise hors du service mais non dépourvue de tout lien avec lui, est à l’origine du dommage, la victime peut toute de même, au choix, demander réparation de son préjudice soit à l’administration, soit à l’agent (CE, 26 juillet 1918, Lemonnier). L’agent ne répond donc que de la faute purement personnelle, totalement dépourvue de lien avec le service.

En outre, lorsque l’administration a réparé le préjudice causé par une faute personnelle, elle peut ensuite se retourner contre l’agent auteur de la faute personnelle pour qu’il contribue à la réparation (CE, Ass., 28 juillet 1951, Laruelle). C’est ce qu’on appelle une action récursoire.

La distinction entre la faute simple et la faute lourde

Dans la majorité des cas, une faute simple suffira pour engager la responsabilité de l’administration. La faute lourde est aujourd’hui très rarement exigée. Ainsi :

  • Aujourd’hui, il suffit généralement d’une faute simple pour engager la responsabilité de l’administration du fait d’une activité de police administrative. Mais dans certains cas, une faute lourde est exigée. Exemples :
    • pour les dommages causés par la faute des services de renseignement : « seule une faute lourde est de nature à engager la responsabilité de l’Etat à l’égard des victimes d’actes de terrorisme à raison des carences des services de renseignement dans la surveillance d’un individu ou d’un groupe d’individus » (CE, 18 juillet 2018).
    • pour la mise en œuvre abusive de contrôles d’identité au faciès (Cass. Crim., 3 novembre 2016, n° 15-85.548).
  • La faute lourde est également exigée pour les activités de contrôle et de tutelle :
    • contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales (CE, 25 juillet 2018, Société Les Hauts du golf)
    • contrôle de tutelle sur les établissements publics
    • contrôle de tutelle sur les collectivités territoriales
  • La faute lourde est enfin exigée pour engager la responsabilité de la juridiction administrative. Mais il y a une limite : une faute simple suffira dans le cas où un préjudice a été causé du fait de la durée excessive d’une procédure (CE, Ass., 28 juin 2002, Ministre de la justice c./ Magiera).

 

La preuve de la faute

Pour être indemnisée, la victime doit prouver la faute de l’administration, ce qui n’est pas toujours facile. Afin de faciliter la tâche de la victime, il existe, dans certains domaines, un mécanisme de présomption de faute : la victime doit alors seulement prouver le lien de causalité entre l’action de l’administration et le préjudice qu’elle a subi. Elle n’a pas à prouver la faute ; c’est à l’administration de prouver qu’elle n’a pas commis de faute.

La présomption de faute s’applique :

  • en matière de responsabilité du fait des accidents causés aux usagers des ouvrages publics. Il y a une présomption de défaut d’entretien normal de l’ouvrage public ; l’administration doit prouver qu’elle a correctement entretenu l’ouvrage.
  • en matière de responsabilité du fait des actes médicaux de soins courants procurés aux usagers des hôpitaux publics.

 

La responsabilité administrative sans faute

 

La responsabilité administrative pour risque

Lorsque l’administration fait peser, dans l’exercice normal de son activité, un risque sur des personnes, elle doit les indemniser si ce risque se réalise. Ce risque peut être lié à :

  • une chose dangereuse ou une activité dangereuse
  • une activité exécutée, à la demande de l’administration, par un collaborateur du service public

La responsabilité liée à une chose dangereuse ou une activité dangereuse

Indépendamment de toute faute, l’administration doit réparer les dommages causés aux administrés par l’utilisation de choses dangereuses (exemples : armes à feu, explosifs…) (CE, 28 mars 1919, Regnault-Desroziers) ou par des activités dangereuses (exemples : méthodes de réinsertion sociale comme les sorties pour les détenus ou les malades psychiatriques).

La responsabilité à l’égard des collaborateurs de l’administration

Indépendamment de toute faute, l’administration doit réparer les dommages subis par ses collaborateurs à l’occasion d’activités dont elle a ordonné l’exécution (exemple : un accident de travail subi par l’un de ses ouvriers : CE, 21 juin 1895, Cames).

Cette solution s’applique non seulement pour les collaborateurs permanents, mais également pour les collaborateurs occasionnels qui ont participé à une mission de service public relevant de la puissance publique (CE, Ass., 22 novembre 1946, Commune de Saint Priest la Plaine).

 

La responsabilité administrative pour rupture d’égalité devant les charges publiques

L’administration doit indemniser la personne qui est la seule à souffrir des conséquences d’un acte ou d’une activité menée dans l’intérêt général. Ainsi, la victime d’un dommage anormal et spécial (qui atteint un certain seuil de gravité et qui ne concerne que certains membres de la collectivité) pourra obtenir réparation auprès de l’administration.

La responsabilité du fait des lois et conventions internationales

Une loi peut être à l’origine d’un dommage anormal et spécial que l’administration doit réparer, indépendamment de toute faute (CE, Ass., 14 janv. 1938, Société des produits laitiers La Fleurette).

A noter que la responsabilité de l’Etat peut aussi être engagée pour réparer l’ensemble des dommages dus à la violation par une loi d’une convention internationale (CE, Ass., 8 février 2007, Gardedieu). Il ne s’agit pas d’une responsabilité sans faute ; le dommage n’a pas à être anormal et spécial.

En outre, la responsabilité de l’administration peut également être engagée pour réparer des dommages nés de conventions internationales conclues par la France (CE, Ass., 30 mars 1966, Compagnie générale d’énergie radio-électrique).

La responsabilité du fait des actes administratifs réguliers

Concernant les actes individuels, l’hypothèse est la suivante : un administré obtient une décision de justice ; ne pouvant en obtenir l’exécution, il demande le concours de la force publique, qui lui est refusé. Dans un tel cas, le refus par l’administration d’utiliser le concours de la force publique pour faire exécuter une décision de justice peut causer un préjudice que l’administration doit réparer, même en l’absence de faute (CE, 30 novembre 1923, Couitéas).

Concernant les règlements, indépendamment de toute faute, ils peuvent causer à une ou plusieurs personnes un préjudice que l’administration devra réparer (CE, 22 février 1963, Commune de Gavarnie). Exemple : un règlement modifiant les conditions de circulation des poids lourds, ce qui entraîne la disparition de la clientèle d’un relais routier (CE, 13 mai 1987, Aldebert).

 

La responsabilité administrative pour garde

Indépendamment de toute faute, l’administration doit réparer les dommages causés par les personnes dont elle a la garde. Exemple : en raison des pouvoirs dont l’Etat se trouve investi lorsqu’un mineur a été confié à un service ou établissement qui relève de son autorité, sa responsabilité est engagée, même sans faute, pour les dommages causés aux tiers par ce mineur (CE, Sect., 11 février 2005, GIE Axa Courtage).

 

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