Réticence dolosive : définition, jurisprudence et sanctions

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

réticence dolosive

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Avant de nous intéresser plus en détails à la notion de réticence dolosive, il convient d’en situer le contexte.

Le dol est défini à l’article 1137 alinéa 1 du Code civil, qui dispose que :

« Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges. »

On comprend donc que des « manoeuvres » ou des « mensonges » commis par l’un des contractants doivent être à l’origine d’une erreur chez l’autre contractant qui l’a poussé à contracter.

Les manoeuvres peuvent être des artifices, des stratagèmes ou des mises en scène. Par exemple, dans une vente de fonds de commerce, constitue un dol la production de faux documents pour faire croire à une valeur de la clientèle exagérée (Douai, 31 janv. 1936). De même, dans une vente de véhicule automobile d’occasion, constitue un dol le fait de trafiquer le numéro du moteur ou le kilométrage, pour le rajeunir (Cass. Com. 19 déc. 1961).

Les mensonges, eux, correspondent à des fausses affirmations sur un élément du contrat. Par exemple, commet un dol le directeur de banque qui certifie à la caution la bonne santé financière du débiteur, alors que le compte de celui-ci, largement débiteur, devait être clôturé quelques jours plus tard (Cass. Com., 7 février 1983).

Mais ce n’est pas tout…

La jurisprudence a progressivement englobé dans la notion de dol le mensonge par omission. C’est ce qu’on appelle la réticence dolosive, ou dol par réticence.

Cette conception large du dol a été reprise par l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats. L’article 1137 du Code civil issu de la réforme dispose en son deuxième alinéa que :

« Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. »

 

La réticence dolosive : définition

La réticence dolosive peut être définie comme le silence observé délibérément par l’une des parties sur un fait que l’autre partie ne pouvait connaître, pour amener celle-ci à contracter.

Dans différentes décisions, la Cour de cassation a affirmé que “le dol peut être constitué par le silence d’une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter” (Cass. Civ. 3ème, 15 janv. 1971 ; Cass. Com., 20 juin 1995).

Il faut toutefois bien comprendre que la réticence dolosive suppose un élément intentionnel, c’est-à-dire une volonté de tromper l’autre contractant. Pour qu’il y ait réticence dolosive, le contractant doit avoir dissimulé un fait de manière délibérée, afin d’amener l’autre partie à conclure le contrat. C’est d’ailleurs ce que dit l’article 1137 alinéa 2 du Code civil qui, on le rappelle, parle de « dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie ».

De plus, comme pour le dol de manière générale, la réticence dolosive est caractérisée si le silence gardé par le contractant a entraîné chez le cocontractant une erreur qui l’a poussé à conclure le contrat. Ainsi, l’erreur provoquée par la dissimulation de l’information doit avoir été déterminante du consentement pour qu’il y ait réticence dolosive. Si la victime avait eu connaissance de l’information, cela l’aurait empêché de conclure le contrat.

 

Exemples de jurisprudence en matière de réticence dolosive

La jurisprudence est fournie en matière de réticence dolosive.

Par exemple, le vendeur d’un bien immobilier qui ne révèle pas à l’acquéreur les comportements problématiques répétés du voisin de palier (dégradations de l’immeuble, usage illicite de stupéfiants…), alors que l’acquéreur l’a informé du fait que la tranquillité et la sécurité étaient des critères déterminants pour lui, se rend coupable de réticence dolosive (Cass. Civ. 3ème, 18 avril 2019, n° 17-24.330).

De même, la jurisprudence a pu juger que commettent une réticence dolosive :

  • le vendeur qui dissimule l’existence d’une servitude relative au bien objet de la vente dans le but de réaliser cette vente (Cass. Civ. 3ème, 29 mars 2018, n° 17-12.028)
  • la banque qui, sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise ou à tout le moins lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution, l’incitant ainsi à s’engager (Cass. Civ. 1ère,14 mai 2009)
  • la commune qui achète un terrain sans révéler au vendeur une modification du plan d’occupation des sols de nature à conférer une plus-value au terrain (Cass. Civ. 3ème, 27 mars 1991, n° 89-16.975)
  • la société qui achète un terrain sans informer les vendeurs de la richesse du sous-sol dudit terrain (Cass. Civ. 3ème, 15 nov. 2000, n° 99-11.203)
  • le vendeur qui dissimule à l’acquéreur le fait que l’eau du puits de la maison vendue n’est pas potable (Cass. Civ. 3ème, 10 févr. 1999, n° 97-18.430)
  • le vendeur qui dissimule l’existence d’un projet de nature à priver d’ensoleillement l’immeuble vendu (Cass. Civ. 3ème, 20 déc. 1995, n° 94-14.887)
  • le vendeur qui dissimule un arrêté d’interdiction d’habiter (Cass. Civ. 3ème, 29 nov. 2000, n° 98-21.224)
  • le vendeur qui ne révèle pas la présence de capricornes dans la maison vendue (Cass. Civ. 3ème, 28 mai 2002, n° 00-22.339)
  • le vendeur qui dissimule l’absence de droit au bail (Cass. Com. 14 nov. 1995, n° 92-18.140)
  • le vendeur qui ne révèle pas à l’acquéreur l’état de gestation de la jument vendue dans une vente à réclamer (Cass. Civ. 1ère, 5 févr. 2002, n° 00-12.671)
  • le vendeur qui dissimule, à l’occasion de la conclusion d’un partenariat commercial, la condamnation d’un salarié exerçant des fonctions importantes ayant entraîné un retrait des investisseurs (Cass. Com. 7 févr. 2012, n° 11-10.487)
  • le vendeur qui ne révèle pas à l’acquéreur d’un fonds de commerce de parfumerie des clauses restrictives relatives au contrat de distributeur agréé cédé avec le fonds (Cass. Com. 4 mai 1993, n° 91-17.321)

 

Réticence dolosive et obligation d’information

A plusieurs reprises, la jurisprudence a pu juger que la réticence dolosive consistait en la violation intentionnelle d’une obligation précontractuelle d’information (Cass. Civ. 3ème, 7 mai 1974 ; Cass. Com. 13 oct. 1980).

On peut citer comme exemple l’arrêt Baldus (Cass. Civ. 1ère, 3 mai 2000, n° 98-11.381) dans lequel la Cour de cassation a affirmé que puisqu’il ne pesait sur l’acquéreur aucune obligation d’informer le vendeur sur la réelle valeur du bien vendu, alors celui-ci ne s’était pas rendu coupable de réticence dolosive en ne révélant pas cette information au vendeur.

Dans cette affaire Baldus, il faut bien comprendre que c’est parce que l’acquéreur n’était pas soumis à une obligation d’information que la Cour de cassation a écarté la réticence dolosive. Par un raisonnement a contrario, il est donc possible de considérer que la violation d’une obligation d’information est nécessaire pour que soit caractérisée la réticence dolosive.

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats n’a cependant pas retenu cette position. On le rappelle une nouvelle fois : l’article 1137 alinéa 2 du Code civil dispose que « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie ».

Cet article consacre la réticence dolosive sans faire mention de la violation d’une obligation d’information. Ainsi, l’existence d’une obligation d’information n’est pas nécessaire pour qu’il y ait réticence dolosive. La dissimulation porte sur une information qui aurait dû être portée à la connaissance de l’autre partie dans le cadre de l’obligation de bonne foi ou de loyauté. Elle peut (mais ne doit pas) aussi porter sur un élément entrant dans le cadre d’une obligation pré-contractuelle d’information.

Pour autant, cela ne signifie pas que le contractant qui ne révèle pas à son cocontractant la véritable valeur du bien vendu commet une réticence dolosive. Depuis la loi de ratification du 20 avril 2018, l’article 1137 du Code civil a d’ailleurs été complété avec un troisième alinéa qui dispose que :

« Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation. »

 

Les sanctions de la réticence dolosive

Ce sont les mêmes que pour le dol de manière générale.

La réticence dolosive entraîne donc deux sanctions distinctes.

D’abord, la réticence dolosive est sanctionnée par la nullité du contrat. Plus précisément, en tant que vice du consentement, elle est une cause de nullité relative du contrat (article 1131 du Code civil). Par conséquent, seule la victime de la réticence dolosive peut agir en nullité et demander l’annulation du contrat.

En outre, la réticence dolosive constitue une faute civile. La victime peut donc agir en responsabilité contre l’auteur du dol par réticence. Il s’agit d’une responsabilité délictuelle car le dol par réticence a été commis avant la formation du contrat. Concrètement, la victime pourra obtenir, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, des dommages et intérêts afin de réparer son préjudice causé par la réticence dolosive.

A noter que la victime peut tout à fait demander la nullité du contrat et des dommages et intérêts (les deux actions ne sont pas exclusives l’une de l’autre).

Elle peut aussi, si elle ne veut pas obtenir la nullité du contrat, simplement obtenir des dommages et intérêts.

 

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