Le contexte de l'arrêt Cadot
Pour bien comprendre l’arrêt Cadot, il faut le remettre dans son contexte.
A l’époque de l’arrêt Cadot (1889), on appliquait la théorie du ministre-juge. Concrètement, lorsqu’un particulier voulait contester une décision de l’administration :
- Il adressait une réclamation à l’administration.
- Le litige remontait jusqu’au ministre compétent.
- Le ministre tranchait le litige, en tant que chef du service administratif concerné.
Une fois que le ministre avait tranché le litige, il était possible de contester sa décision devant le Conseil d’Etat. Ainsi, un particulier qui souhaitait contester une décision de l’administration devait, dans un premier temps, s’adresser au ministre, avant de pouvoir éventuellement saisir le Conseil d’Etat. C’est précisément ce à quoi le Conseil d’Etat a mis fin dans son arrêt Cadot.
Les faits de l'arrêt Cadot
M. Cadot était ingénieur directeur de la voirie et des eaux de la ville de Marseille, lorsque son emploi fut supprimé.
Fort mécontent, M. Cadot demande des dommages-intérêts à la ville de Marseille, mais cette dernière refuse de les lui accorder.
La procédure
A la suite de ce refus de la ville de Marseille, trois étapes se suivent.
D'abord, M. Cadot a saisi les juridictions judiciaires. Mais celles-ci, estimant que le contrat qui liait M. Cadot à la ville de Marseille n'était pas un contrat de droit privé, se sont déclarées incompétentes pour connaître de sa demande en indemnisation à l'encontre de la ville de Marseille.
Ensuite, M. Cadot s'est tourné vers le conseil de préfecture, qui s'est lui aussi déclaré incompétent.
A noter : Les conseils de préfecture étaient des juridictions administratives qui n’étaient compétentes que pour certains contentieux administratifs. Ils avaient donc une compétence d’exception, alors que les ministres étaient les juges administratifs de droit commun.
Enfin, M. Cadot a saisi le ministre de l’Intérieur, qui lui a répondu qu'il ne pouvait pas donner suite à sa demande d'indemnisation.
Monsieur Cadot a alors saisi le Conseil d’Etat.
Le problème de droit
C'est ce passage qui est délicat et qui est souvent mal compris.
Il faut bien comprendre que M. Cadot et le Conseil d'Etat n'ont pas interprété la réponse du ministre de la même manière.
Pour M. Cadot, la réponse du ministre s'analysait en une décision de refus. Dès lors, le ministre avait rendu une décision administrative, ce qui lui permettait de saisir le Conseil d’Etat pour contester cette décision (en application de la théorie du ministre-juge).
Mais selon le Conseil d'Etat, le ministre avait en réalité refusé de statuer, car il s’était reconnu incompétent. Dès lors, le ministre n'avait pas rendu de décision administrative. Il s'était simplement déclaré incompétent pour trancher le litige opposant M. Cadot et la ville de Marseille.
Or en application de la théorie du ministre-juge, il faut une décision ministérielle pour pouvoir ensuite saisir le Conseil d'Etat.
La question qui était posée au Conseil d'Etat était donc la suivante : Le Conseil d’Etat est-il compétent pour connaître d'un litige impliquant l'administration en l'absence de décision ministérielle préalable ?
La solution de l'arrêt Cadot
Dans son arrêt Cadot du 13 décembre 1889, le Conseil d'Etat a affirmé que : « du refus du maire et du conseil municipal de Marseille de faire droit à la réclamation du sieur Cadot, il est né entre les parties un litige dont il appartient au Conseil d’État de connaître ».
Autrement dit, le refus de la ville de Marseille d'accorder des dommages-intérêts à M. Cadot constitue une décision administrative qui peut être contestée directement devant le Conseil d'Etat, sans qu'il n'y ait besoin de saisir préalablement le ministre.
Ainsi, alors qu'aucun texte n'attribuait expressément au Conseil d'Etat la compétence pour connaître d'un tel recours, il s'est néanmoins reconnu compétent pour statuer sur le litige entre M. Cadot et la ville de Marseille.
La portée de l'arrêt Cadot
Avec cet arrêt Cadot, le Conseil d’Etat se reconnaît une compétence générale pour connaître de tout recours dirigé contre une décision de l'administration. Le Conseil d'Etat devient donc le juge de droit commun en premier et dernier ressort du contentieux administratif.
Cet arrêt Cadot met ainsi fin au système du ministre-juge : les litiges entre un particulier et l’administration doivent désormais être portés directement devant le Conseil d'Etat, sans avoir à être préalablement soumis au ministre.
A noter : Aujourd'hui, le Conseil d'Etat n'est plus juge en premier et dernier ressort des contentieux administratifs. En effet, un décret-loi du 30 septembre 1953 a créé les tribunaux administratifs qui sont devenus les juridictions administratives de première instance et une loi du 31 décembre 1987 a instauré les cours administratives d’appel, compétentes pour juger en appel les jugements des tribunaux administratifs. Le Conseil d'Etat est aujourd'hui, principalement, le juge de cassation des décisions rendues par les cours administratives d’appel.



