L’arrêt Perreux du 30 octobre 2009 [Explication]

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

arrêt Perreux

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L'arrêt Perreux (ou arrêt Mme Perreux) est un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 30 octobre 2009. Par cet arrêt, le Conseil d’Etat a consacré le principe suivant lequel tout justiciable peut se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif non règlementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive européenne lorsque l’Etat n’a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires.

 

Les faits et la procédure

Mme Perreux, magistrate, s'était portée candidate à un poste de chargé de formation à l'Ecole Nationale de la Magistrature.

Sa candidature ayant été rejetée, elle a saisi le Conseil d'Etat d'un recours pour excès de pouvoir afin de contester la légalité de l'arrêté du Garde des Sceaux du 29 août 2006 qui avait refusé de la nommer à ce poste.

Mme Perreux soutenait que le Garde des Sceaux avait écarté sa candidature en raison de son appartenance au syndicat de la magistrature et s'estimait donc victime de discrimination.

Elle invoquait l'article 10 de la directive 2007/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, selon lequel "les Etats membres prennent les mesures nécessaires, conformément à leur système judiciaire, afin que, dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect, à son égard, du principe de l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement".

Rappel : Une directive européenne lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, mais chaque Etat membre est libre d'élaborer ses propres mesures pour atteindre ledit résultat. C'est ce qu'on appelle la transposition de la directive. Cette transposition doit avoir lieu dans le délai fixé par la directive.

En l'espèce, la directive 2007/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 devait être transposée au plus tard le 2 décembre 2003. Toutefois, elle avait été transposée en droit français par la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Ainsi, au moment des faits litigieux (c'est-à-dire en août 2006), elle n'avait pas été transposée.

 

Le problème de droit

Par conséquent, était posée au Conseil d'Etat la question de la possibilité d'invoquer une directive non transposée à l'appui d'un recours formé contre un acte administratif individuel.

Dit autrement, il était demandé au Conseil d'Etat d'admettre l'effet direct des directives (l'effet direct signifie que le droit de l'Union européenne crée des droits et des obligations pour les justiciables, qui peuvent donc directement invoquer ces droits devant les juridictions nationales).

Or depuis son arrêt Cohn-Bendit du 22 décembre 1978, le Conseil d’Etat refusait toute possibilité d'invoquer à l’encontre d’un acte administratif individuel une directive non transposée, alors même que le délai de transposition était expiré.

De son côté, la Cour de justice de l'Union européenne (anciennement Cour de justice des Communautés européennes) avait consacré l'effet direct des directives dans son arrêt Van Duyn du 4 décembre 1974, jugeant que les directives sont susceptibles de produire un effet direct si elles sont précises et inconditionnelles.

Dans l'affaire Perreux, le Conseil d'Etat avait donc l'occasion de réaffirmer sa résistance à la jurisprudence de la Cour de justice, ou bien de se ranger derrière sa position.

 

La solution de l'arrêt Perreux

Dans son arrêt Perreux, le Conseil d'Etat a opéré un revirement de jurisprudence par rapport à sa jurisprudence Cohn-Bendit. Il a admis la possibilité d'invoquer une directive non transposée pour contester un acte administratif individuel, jugeant que « tout justiciable peut se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive, lorsque l'État n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires ».

Les directives sont donc susceptibles de produire un effet direct, mais à certaines conditions. A ce titre, les conditions posées par le Conseil d'Etat dans son arrêt Perreux sont exactement les mêmes que celles dégagées par la Cour de justice. Il s'agit de deux conditions cumulatives :

  • d'abord, une directive ne peut produire un effet direct que si, à l'issue du délai de transposition, elle n'a pas été transposée par l'Etat membre. L'arrêt Perreux affirme en effet que la directive ne peut être invoquée que « lorsque l'État n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires ».
  • ensuite, les dispositions d'une directive ne peuvent avoir un effet direct que si elles sont précises et inconditionnelles, étant entendu qu'une disposition est inconditionnelle lorsqu'elle ne laisse à l'Etat membre aucune marge d'appréciation dans le choix des mesures de transposition propres à atteindre l'objectif fixé par la directive. L'idée est de circonscrire l'effet direct aux seules hypothèses où la directive se suffit à elle-même pour créer des droits et des obligations qui peuvent entrer automatiquement dans le chef des justiciables.

En l'espèce, l'absence de caractère inconditionnel a conduit le Conseil d'Etat à refuser tout effet direct à l'article 10 de la directive 2007/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000. Mais le fait que cet article 10 ne soit pas inconditionnel et ne puisse donc pas avoir d'effet direct n'a que peu d'importance. Par le raisonnement qu'il tient dans l'arrêt Perreux, le Conseil d'Etat admet l'effet direct des directives et rejoint la position de la Cour de justice.

En outre, quand bien même elle remplirait les conditions de l'effet direct, les dispositions d'une directive ne sont invocables qu'à l'encontre de l'Etat ; elles ne sauraient être invoquées à l'encontre d'un autre justiciable. C'est l'absence d'effet horizontal des directives. A ce titre, préalablement à l'arrêt Perreux, la Cour de justice avait affirmé à plusieurs reprises que les directives produisent un effet direct uniquement vertical (voir notamment : CJCE, 5 avril 1979, Ratti).

Rappel : Une disposition qui ne produit qu'un effet direct vertical peut être invoquée par un justiciable à l'encontre d'un Etat membre. Une disposition qui produit un effet direct aussi bien vertical qu'horizontal peut être invoquée par un justiciable à l'encontre d'un Etat membre ou d'un autre justiciable.

Cet effet direct uniquement vertical des directives, l'arrêt Perreux le confirme implicitement en rappelant qu'une personne ne saurait tenir des droits de l'obligation de transposition qu'« à l'égard des autorités publiques » et qu'un justiciable ne peut se prévaloir de l'effet direct d'une directive qu'à l'encontre d'un « acte administratif non réglementaire ».


La portée de l'arrêt Perreux

Si la solution dégagée dans l'arrêt Perreux doit être approuvée en ce qu'elle s'inscrit dans une logique de respect du droit de l'Union européenne et de protection des droits des justiciables, il faut bien reconnaître que la portée de l'arrêt Perreux est avant tout symbolique.

Elle l'est d'abord parce qu'elle met fin à un « symbole » (R. Chapus, Droit administratif général, 15e éd. Montchrestien 2001, spéc. 142.), celui d'une période conflictuelle pendant laquelle le Conseil d'Etat avait développé une jurisprudence de résistance aux exigences communautaires énoncées par la Cour de justice.

Elle l'est ensuite et surtout, parce que la consécration de l'effet direct des directives ne revêt qu'une utilité limitée. En effet, bien avant l'arrêt Perreux, le Conseil d'Etat avait progressivement reconnu, par d'autres voies, une très large invocabilité des directives, à tel point que le refus de leur effet direct ne pénalisait que peu les justiciables.

Ainsi, le Conseil d’Etat avait admis la possibilité d'invoquer une directive, après l'expiration du délai de transposition, pour demander l'annulation d'un acte réglementaire, qu'il ait été pris pour sa transposition (CE, 28 sept. 1984, Confédération nationale des sociétés de protection des animaux de France) ou non (CE, 7 déc. 1984, Fédération française des sociétés de protection de la nature).

Cette possibilité avait même été ouverte pour demander l'annulation d'un acte individuel, dès lors que le requérant invoque la contrariété de l’acte réglementaire constituant sa base légale à une directive qu'il transpose (CE, 8 juillet 1991, Palazzi). 

C'est pourquoi la portée de l'arrêt Perreux doit être relativisée. Néanmoins, cette décision a le mérite d'avoir rapproché les jurisprudences du Conseil d'Etat et de la Cour de justice.


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