L’effet direct du droit de l’Union européenne

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

Effet direct droit de l'UE

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L'effet direct : définition

L'effet direct du droit de l'Union européenne (UE) signifie que le droit de l'UE crée des droits et des obligations pour les justiciables, qui peuvent donc directement invoquer ces droits devant les juridictions nationales. Ces dernières ont alors l'obligation d'appliquer le droit de l'UE pour la solution des litiges dont elles sont saisies.

Par exemple, admettons que vous achetiez en ligne un certain produit en provenance d'Allemagne. Ce produit est alors importé en France depuis l'Allemagne. Admettons également que l'administration française vous fasse payer un droit de douane pour cette importation. Vous pourriez alors vous rendre devant le juge national afin de contester l'application de ce droit de douane, en invoquant le droit de l'UE qui interdit les droits de douane entre pays de l'UE.

On distingue deux types d'effet direct :

  • l'effet direct vertical : lorsque le droit de l’UE est invoqué par un justiciable à l’encontre d'un État membre (il s'agit du cas où un justiciable juge que les droits qu'il prétend détenir du droit de l'UE ont été bafoués par un État membre, comme dans l'exemple que nous venons de prendre avec le produit importé depuis l'Allemagne)
  • l'effet direct horizontal : lorsque le droit de l’UE est invoqué par un justiciable à l’encontre d’un autre justiciable

Nous verrons dans la suite de cet article que :

  • certaines normes de l'UE ont un effet direct complet (à la fois horizontal et vertical)
  • d'autres ne produisent qu'un effet direct limité (c'est-à-dire uniquement vertical)
  • d'autres encore ne produisent pas d'effet direct

 

Le fondement de l'effet direct

Dans son célèbre arrêt Van Gend en Loos du 5 février 1963, la Cour de justice des Communautés européennes (aujourd'hui appelée Cour de justice de l'Union européenne) a jugé qu'en se fixant pour objectif d'instaurer un marché commun « dont le fonctionnement concerne directement les justiciables », les États membres ont admis que le traité de Rome de 1957 instituant la Communauté économique européenne « constitue plus qu'un accord qui ne créerait que des obligations mutuelles entre les États contractants ».

En conséquence, la Cour de justice affirme que « la Communauté constitue un nouvel ordre juridique de droit international, au profit duquel les États ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains, et dont les sujets sont non seulement les États membres, mais également leurs ressortissants » et que « le droit communautaire, indépendant de la législation des États membres, de même qu'il crée des charges dans le chef des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique ».

Ainsi, c'est la spécificité du droit communautaire (aujourd'hui droit de l'UE) qui est le fondement de l'effet direct. C'est parce que le traité de Rome possède une nature particulière que la Cour de justice admet qu'il puisse produire un effet direct.

A noter : Dans son arrêt Costa contre Enel du 15 juillet 1964, la Cour de justice a utilisé un raisonnement similaire pour consacrer un autre principe fondamental du droit de l'UE, qui est le principe de primauté.

 

Les conditions de l'effet direct

Une disposition peut bénéficier de l'effet direct à condition d'être inconditionnelle, précise (CJCE, 5 avr. 1979, Ratti) et claire (CJCE, 4 mars 1999, Hospital Ingenieure Krankenhaustechnik Planungs-Gesellschaft mbH ; CJUE, 18 janv. 2022, Thelen Technopark Berlin). 

En réalité, la condition de clarté tend à se confondre avec celle de précision. C'est pourquoi dans ses arrêts, la Cour de justice se fonde tantôt sur la triple exigence selon laquelle la disposition doit être précise, claire et inconditionnelle, tantôt sur une double condition d'inconditionnalité et de précision (sans mentionner la condition de clarté).

Le caractère inconditionnel signifie que la disposition en cause n'est « assortie d'aucune condition ni subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l'intervention d'aucun acte soit des institutions de l'Union, soit des États membres » (CJCE, 3 avr. 1968, Molkerei-Zentrale Westfalen Lippe ; CJUE, 8 mars 2022, NE). Plus précisément, l'application de la disposition concernée ne doit être subordonnée à aucune mesure ultérieure comportant un pouvoir discrétionnaire, soit des organes de l’UE, soit des États membres. Ainsi, une disposition qui nécessite des mesures pour son application est tout de même inconditionnelle si l'État ou les institutions n'ont aucun pouvoir discrétionnaire pour prendre la mesure d'exécution. Par exemple, la Cour de justice a reconnu un effet direct à une disposition du droit de l'UE (abrogée par le traité d'Amsterdam) qui demandait aux États membres d'éliminer ou de corriger leurs dispositions fiscales défavorisant les produits importés des autres États membres. En effet, la Cour a considéré que les États n'avaient dans le cas de cette disposition aucun pouvoir discrétionnaire d'appréciation (CJCE, 16 juin 1966, Lütticke).

En outre, une disposition est considérée comme suffisamment précise pour produire un effet direct « lorsqu'elle énonce une obligation dans des termes non équivoques » (CJCE, 23 févr. 1994, Comitato di coordinamento per la difesa della cava e.a.).


L'effet direct des traités

 

Comme expliqué précédemment, toutes les dispositions des traités européens n'ont pas nécessairement un effet direct. Plus encore, certaines dispositions produisent un effet direct complet (aussi bien horizontal que vertical) tandis que d'autres ne produisent qu'un effet direct limité (seulement vertical).

Rappel : Une disposition qui ne produit qu'un effet direct vertical peut être invoquée par un justiciable à l'encontre d'un Etat membre. Une disposition qui produit un effet direct aussi bien vertical qu'horizontal peut être invoquée par un justiciable à l'encontre d'un Etat membre ou d'un autre justiciable.


Les dispositions à effet direct complet

Les dispositions désignant expressément les justiciables comme les destinataires des droits et des obligations qu'elles créent produisent par essence un effet direct complet. Il en va ainsi des règles de concurrence applicables aux entreprises (articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'UE), qui peuvent donc les invoquer devant les juridictions nationales contre une autre entreprise (CJCE, 6 avr. 1962, Bosch) ou un Etat membre (CJCE, 10 janv. 1985, Leclerc c/ Au blé vert).

Par ailleurs, certaines dispositions produisent un effet direct complet bien qu'elles ne visent pas expressément les justiciables. Il s'agit par exemple :

  • des règles concernant la libre circulation des personnes et l'interdiction des discriminations tenant à la nationalité (articles 45, 49, 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l'UE) qui peuvent être invoquées par les justiciables non seulement à l'encontre des règlements émanant des pouvoirs publics, mais également à l'encontre des contrats de travail émanant des employeurs, personnes morales de droit privé (CJCE 12 déc. 1974, Walrave)
  • des règles relatives à l'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes (article 157 du traité sur le fonctionnement de l'UE), qui s'imposent « non seulement à l'action des autorités publiques, mais également à toutes conventions visant à régler de façon collective le travail salarié, ainsi qu'aux contrats entre particuliers » (CJCE, 8 avr. 1976, Defrenne)

 

Les dispositions à effet direct limité

Ces dispositions, qui sont invocables par les justiciables seulement à l'encontre des Etats membres, sont les plus nombreuses. Cela s'explique par le fait que les traités ont principalement créé des obligations à la charge des Etats membres.

Il s'agit d'abord des dispositions contenant des interdictions ou des obligations de ne pas faire. On peut citer comme exemples :

  • l'article 30 du traité sur le fonctionnement de l'UE (ancien article 12 du traité de Rome de 1957) interdisant les droits de douane ou taxes d'effets équivalent (CJCE, 5 févr. 1963, Van Gend en Loos)
  • l'article 37 alinéa 2 du traité sur le fonctionnement de l'UE interdisant les discriminations au titre des monopoles nationaux (CJCE, 15 juill. 1964, Costa contre Enel)
  • l'article 110 du traité sur le fonctionnement de l'UE interdisant de discriminer fiscalement les produits importés (CJCE, 16 juin 1966, Lütticke)

Il s'agit ensuite des dispositions contenant des obligations de faire, comme par exemple :

  • l'article 37 alinéa 1 du traité sur le fonctionnement de l'UE concernant l'aménagement des monopoles nationaux (CJCE, 3 févr. 1976, Manghera)
  • les articles 45, 49, 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l'UE, garantissant le traitement national, dès la fin de la période de transition, aux travailleurs, prestataires de service et bénéficiaires du droit d'établissement (CJCE, 4 avr. 1974, Commission c/ France)

 

Les dispositions dépourvues d'effet direct

Il existe également des cas où la Cour de justice a refusé de reconnaître un effet direct à certaines dispositions des traités. Ce fut le cas par exemple pour :

  • l'article 2 du traité de Rome de 1957 (abrogé par le traité de Lisbonne), dont l'objet était de définir les missions de la Communauté (CJCE, 24 janv. 1991, Alsthom Atlantique)
  • l'article 86 du traité de Rome de 1957 (aujourd'hui article 106 du traité sur le fonctionnement de l'UE) relatif à l'application des règles de concurrence aux entreprises gérant un service d'intérêt économique général (CJCE, 14 juill. 1971, Muller-Hein)
  • les articles 87 et 88 du traité de Rome de 1957 (aujourd'hui articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'UE) interdisant les aides publiques (CJCE, 22 mars 1977, Iannelli)

 

L'effet direct du droit dérivé

 

Dans l'arrêt Van Gend en Loos, la Cour de justice n'avait consacré l'effet direct que pour les traités. Toutefois, les actes de droit dérivé peuvent également être dotés d'un effet direct. Il convient de distinguer entre les règlements, les directives et les décisions.

 

L'effet direct des règlements

Les règlements européens sont dotés d'un effet direct. En effet, l'article 288 du traité sur le fonctionnement de l’UE (anciennement article 189 du traité de Rome) énonce que le règlement « a une portée générale » et « est directement applicable dans tout État membre ». Or l'applicabilité directe des règlements implique leur effet direct. A ce titre, la Cour de justice a affirmé dans un arrêt Politi du 14 décembre 1971 qu' « en raison de sa nature même et de sa fonction dans le système des sources du droit communautaire, [le règlement] produit des effets immédiats et est, comme tel, apte à conférer aux particuliers des droits que les juridictions nationales ont l'obligation de protéger ».

Par ailleurs, l'effet direct produit par les règlements est complet (autant vertical qu'horizontal) (CJCE, 17 sept. 2002, Muñoz et Superior Fruiticola).

 

L'effet direct des directives

Les directives sont des actes qui fixent des objectifs aux Etats membres. Ces derniers sont tenus d'une obligation de résultat ; ils doivent atteindre les objectifs fixés. Mais chaque Etat membre est libre d'élaborer ses propres mesures pour les atteindre. Ainsi, on pourrait supposer que les directives ne produisent pas d'effet direct.

Mais dans son arrêt Van Duyn du 4 décembre 1974, la Cour de justice a reconnu que les directives sont susceptibles de produire un effet direct si elles remplissent les conditions de clarté, de précision et d'inconditionnalité. Contrairement aux règlements, les directives n'ont donc pas d'effet direct par principe. Ce sont simplement certaines dispositions de certaines directives, qui remplissent les conditions précitées, qui produisent un effet direct.

Par ailleurs, une directive ne produit un effet direct qu'une fois le délai de transposition expiré. Ainsi, un effet direct peut être reconnu à une directive seulement si l'Etat membre n'a pas transposé la directive dans les délais ; tant que le délai de transposition n'est pas expiré, il ne peut y avoir d'effet direct. 

Enfin, les directives produisent un effet direct uniquement vertical. A ce titre, elles peuvent être invoquées par les particuliers à l'encontre des Etats membres, mais pas à l'encontre d'autres particuliers (CJCE, 5 avril 1979, Ratti).


L'effet direct des décisions

Il convient de distinguer entre les décisions adressées aux particuliers et les décisions adressées aux Etats membres.

D'abord, une décision adressée à un particulier a vocation à lui conférer des droits ou lui imposer des obligations. Il ne fait donc aucun doute que ce type de décisions produit un effet direct.

Ensuite, concernant les décisions adressées aux Etats membres, la Cour de justice leur a reconnu un effet direct dans son arrêt Franz Grad du 6 octobre 1970. Mais de même que les directives, les décisions adressées aux Etats membres n'ont un effet direct que si elles sont claires, précises et inconditionnelles. En outre, elles ne produisent qu'un effet direct vertical.


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