Le renvoi préjudiciel (droit de l’Union européenne)

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

Renvoi préjudiciel

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Le renvoi préjudiciel : définition

Le renvoi préjudiciel (ou question préjudicielle) est une procédure permettant à une juridiction d’un Etat membre de l’Union européenne d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur l’interprétation ou la validité d’un texte du droit de l’Union applicable au litige dont elle est saisie.

On distingue donc deux types de renvoi préjudiciel :

  • le renvoi préjudiciel en interprétation, qui consiste à demander à la CJUE de préciser la signification du texte applicable ; et
  • le renvoi préjudiciel en appréciation de validité, qui consiste à demander à la CJUE de vérifier la validité du texte applicable.

Concrètement, lorsqu’une juridiction nationale est saisie d’un litige qui soulève des questions de droit de l’Union européenne qui lui semblent difficiles, elle peut soumettre à la CJUE une ou plusieurs questions que la CJUE examinera à titre préjudiciel.

La juridiction nationale qui introduit un renvoi préjudiciel sursoit à statuer en attendant la réponse de la CJUE. En cas de renvoi en interprétation, elle statue ensuite au fond en se fondant sur l’interprétation de la CJUE. En cas de renvoi en appréciation de validité, si la CJUE constate l’invalidité du texte, la juridiction nationale devra le laisser inappliqué.

Ainsi, le renvoi préjudiciel « repose sur un dialogue de juge à juge » (CJUE, 15 janv. 2013, Križan et a.). Plus encore, la CJUE considère le renvoi préjudiciel comme la « clef de voute du système juridictionnel » permettant d’assurer la cohérence, l’uniformité et le plein effet du droit de l’Union (CJUE, 18 déc. 2014, avis 2/13 ; CJUE, 6 mars 2018, Achmea ; CJUE, 2 sept. 2021, Rép. de Moldavie).

 

Les normes susceptibles d’un renvoi préjudiciel

Il convient de distinguer entre le droit primaire (c’est-à-dire les traités) et le droit dérivé (c’est-à-dire les actes pris par les institutions de l’Union européenne, tels que les règlements, les directives, les décisions…).

En ce qui concerne le droit primaire, seul le renvoi préjudiciel en interprétation est possible. En effet, le droit primaire étant l’œuvre des États membres, les institutions de l’Union européenne ne peuvent pas en apprécier la validité.

En ce qui concerne le droit dérivé, autant le renvoi en interprétation que le renvoi en appréciation de validité sont possibles.

Assimilés à des actes de droit dérivé, les accords internationaux conclus par l’Union européenne peuvent faire l’objet aussi bien d’un renvoi en interprétation que d’un renvoi en appréciation de validité (CJUE, 27 févr. 2018, Western Sahara Campaign UK).

Toutefois, les arrêts de la CJUE, malgré leur possible assimilation à des actes de droit dérivé, ne peuvent pas faire l’objet d’un renvoi en appréciation de validité dans la mesure où ils tranchent avec l’autorité de chose jugée des questions de droit de l’Union européenne (CJCE, 5 mars 1986, Wünsche c/ Allemagne). Ils peuvent seulement faire l’objet d’un renvoi en interprétation (CJUE, 28 juill. 2011, Orifarm et a.).

 

Les conditions du renvoi préjudiciel

Les conditions relatives à l’auteur du renvoi préjudiciel

En application de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, seule une « juridiction d’un des États membres » peut introduire une question préjudicielle.

Afin de déterminer si l’organisme auteur du renvoi préjudiciel est bien une juridiction, la CJUE tient compte d’un ensemble de critères (ce qu’on appelle un « faisceau d’indices ») tels que « l’origine légale de l’organe, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de la procédure, l’application, par l’organe, des règles de droit, ainsi que son indépendance » (CJCE, 17 sept. 1997, Dorsch Consult Ingenieurgesellschaft mbH c/ Bundesbaugesellschaft Berlin ; CJUE, 21 janv. 2020, Banco de Santander).

Les organismes qualifiés de juridictionnels dans le droit national (tribunal judiciaire, tribunal de commerce, conseil de prud’hommes, tribunal administratif, cour d’appel, cour administrative d’appel…) sont bien entendu des juridictions au sens de ces critères. Toutefois, peut également se voir reconnaître la qualité de juridiction tout organisme administratif qui n’est pas reconnu comme une juridiction au plan national, dès lors qu’il répond à ces critères d’organe juridictionnel.

Les conditions relatives à la procédure

Les juridictions nationales ne peuvent effectuer un renvoi préjudiciel à la CJUE que « si elles sont appelées à statuer dans le cadre d’une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel » (CJCE, 19 oct. 1995, Job Centre). Autrement dit, il faut que la juridiction effectue le renvoi préjudiciel dans le cadre d’une fonction juridictionnelle, pour trancher un litige.

Cette condition est importante car certains organismes, respectant les critères d’organe juridictionnel précités, exercent à la fois des fonctions administratives et des fonctions juridictionnelles. Or dans un tel cas, le renvoi préjudiciel ne sera possible que si l’organisme exerce spécifiquement des fonctions juridictionnelles dans l’affaire en question (CJUE, 31 janv. 2013, Belov). Par exemple, ne peut poser une question préjudicielle à la CJUE la juridiction qui examine une demande d’inscription d’un contrat de vente d’un bien immobilier au livre foncier (CJCE, 14 juin 2001, Salzmann) ou qui statue en qualité d’autorité administrative (CJUE, 12 janv. 2010, Amiraike Berlin).

 

Le caractère obligatoire ou facultatif du renvoi préjudiciel 

Il faut distinguer entre le renvoi en interprétation et le renvoi en appréciation de validité.

Le renvoi préjudiciel en interprétation

Le renvoi en interprétation n’est obligatoire que pour les juridictions « dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne » (article 267 alinéa 3 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Sont concernées les juridictions suprêmes (et spécialement en France la Cour de cassation et le Conseil d’État), mais également l’ensemble des juridictions de rang inférieur qui rendent des décisions en dernier ressort.

Ainsi, pour toutes les autres juridictions (c’est-à-dire les juridictions qui ne statuent pas en dernier ressort), le renvoi en interprétation est facultatif. Cela signifie que les juridictions nationales apprécient elles-mêmes la pertinence et la nécessité d’un renvoi pour rendre le jugement (CJCE, 12 avr. 2005, Keller). Elles peuvent décider de renvoyer à la CJUE ou bien considérer qu’il est plus opportun de trancher elles-mêmes les questions soulevées.

Par ailleurs, l’obligation de renvoi qui pèse sur les juridictions de dernier ressort disparaît :

  • lorsque la disposition du droit de l’Union en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la CJUE (CJUE, 1er oct. 2015, AIFA), auquel cas la juridiction nationale pourra se référer à cette interprétation sans avoir à saisir elle-même la CJUE ; et
  • lorsque l’application correcte du droit de l’Union s’impose avec une évidence telle qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable sur la manière de résoudre la question posée (CJCE, 6 oct. 1982, CILFIT c/ Ministero della Sanità). C’est ce qu’on appelle la théorie de l’acte clair.

Le renvoi préjudiciel en appréciation de validité

Le renvoi en appréciation de validité est obligatoire pour toutes les juridictions (CJCE, 22 oct. 1987, Foto-Frost). Concrètement, les juridictions nationales peuvent, si elles n’estiment pas fondés les moyens d’invalidité que les parties invoquent devant elles, rejeter ces moyens en concluant que l’acte est valide, mais ne peuvent pas déclarer invalide un acte de droit de l’Union européenne.

En outre, la théorie de l’acte clair ne s’applique pas au renvoi en appréciation de validité (CJCE, 6 déc. 2005, Gaston Schul Douane-expediteur), faute de quoi les juridictions nationales pourraient déclarer des actes de l’Union invalides au motif que cela leur paraît évident.

 

Les effets des arrêts rendus à titre préjudiciel

Les effets des arrêts rendus sur renvoi préjudiciel en interprétation

L’arrêt rendu sur renvoi en interprétation s’impose :

  • à la juridiction nationale à l’initiative du renvoi, qui doit appliquer les règles de droit, telles qu’interprétées par la CJUE dans son arrêt préjudiciel, aux faits de l’espèce (CJCE, 15 janv. 2002, Weidacher) ; et
  • à toute juridiction appelée à statuer sur le même litige en fonction de l’évolution de la procédure.

Par ailleurs, l’ensemble des juridictions nationales des États membres qui rencontreraient une question identique ou similaire pourront se référer à l’arrêt préjudiciel rendu par la CJUE, faisant ainsi l’économie d’un renvoi. Toutefois, les juridictions nationales gardent la faculté de poser une nouvelle question préjudicielle à la CJUE. En pareille hypothèse, la juridiction nationale devra préciser les raisons pour lesquelles elle souhaite une nouvelle prise de position sur une question antérieurement tranchée par la CJUE.

Les effets des arrêts rendus sur renvoi préjudiciel en appréciation de validité

L’arrêt rendu sur renvoi en appréciation de validité s’impose à la juridiction à l’origine du renvoi (ainsi qu’à toute juridiction qui serait appelée à statuer sur le même litige suite à l’exercice d’une voie de recours). Ainsi, un acte déclaré valide par la CJUE doit être appliqué par la juridiction à l’origine du renvoi. En revanche, lorsque l’acte est déclaré invalide, cette dernière doit en écarter l’application pour résoudre le litige qui lui est soumis.

De plus, en cas d’acte déclaré invalide par la CJUE, l’ensemble des juridictions nationales des Etats membres sont tenues de ne plus appliquer cet acte (CJCE, 13 mai 1981, International Chemical Corporation c/ Amministrazione delle finanze dello Stato). Mais lorsque la CJUE n’a pas relevé d’élément de nature à affecter la validité d’un acte, il n’est pas exclu qu’elle puisse ultérieurement être saisie à nouveau de la question de la validité de l’acte fondée sur d’autres moyens que ceux qui avaient été invoqués (CJCE, 13 juill. 1978, Milac c/ Hauptzollamt Freiburg).

Enfin, un arrêt préjudiciel déclarant l’invalidité d’un acte impose aux institutions compétentes de l’Union européenne de prendre les mesures nécessaires pour remédier à l’illégalité constatée (CJCE, 29 juin 1988, Van Landschoot c/ Mera). Concrètement, l’institution dont émane l’acte déclaré invalide devra prendre les mesures nécessaires pour corriger le vice dont il est entaché.

 

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