L’arrêt Van Duyn du 4 décembre 1974

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

arrêt Van Duyn

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L'arrêt Van Duyn est un arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes (aujourd'hui appelée Cour de justice de l'Union européenne) le 4 décembre 1974. Cet arrêt a consacré l'effet direct des directives européennes.

 

Les faits

Mme Van Duyn, de nationalité néerlandaise, avait reçu une offre d'emploi afin d'exercer sur le territoire britannique l’activité de secrétaire pour l’Eglise de Scientologie.

Or si la pratique de la scientologie était autorisée au Royaume-Uni pour les ressortissants britanniques, la législation du pays permettait de refuser l'entrée sur le territoire aux ressortissants étrangers venant travailler dans un établissement de scientologie.

Sur ce fondement, Mme Van Duyn s'est vue refuser l'entrée au Royaume-Uni.


La procédure

Mme Van Duyn a saisi le juge britannique afin de contester cette décision des autorités britanniques. Elle soutenait que le refus de l'autoriser à entrer au Royaume-Uni était contraire à :

  • l'article 48 du traité de Rome de 1957 posant le principe de libre circulation des travailleurs au sein de la Communauté économique européenne (CEE) ; et
  • l'article 3 de la directive 64/221 du 25 février 1964 pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique, selon lequel « les mesures d'ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l'individu qui en fait l'objet ».

Ainsi, Mme Van Duyn invoquait devant le juge national des droits découlant de dispositions communautaires. Mais était-elle en droit de se prévaloir de ces dispositions communautaires devant une juridiction nationale ?

Il s'agit, plus généralement, de la question de l'effet direct. Cette notion signifie que le droit de l’Union européenne crée non seulement des obligations pour les États membres, mais également des droits et obligations pour les particuliers, qui peuvent donc invoquer ces droits devant les juridictions nationales.

Or dans son arrêt Van Gend en Loos du 5 février 1963, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) avait déjà consacré l'effet direct des dispositions des traités à condition qu'elles soient claires et inconditionnelles (cette condition d'inconditionnalité signifiant que la disposition ne doit être assortie d'aucune condition ni subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l'intervention d'aucun acte soit des institutions communautaires, soit des États membres).

Le juge britannique a donc décidé de poser plusieurs questions préjudicielles à la CJCE afin de savoir si l'article 48 du traité de Rome et la directive 64/221 avait un effet direct.

Pour rappel, une question préjudicielle (ou renvoi préjudiciel) est une procédure permettant à une juridiction d'un État membre de l'Union européenne d'interroger la Cour de justice sur l'interprétation ou la validité d'un point de droit de l'Union dans le cadre d'un litige dont elle est saisie.

La juridiction qui demande à la Cour de justice son interprétation du texte applicable sursoit à statuer en attendant la réponse de la Cour. Elle statue ensuite au fond en se fondant sur l’interprétation de la Cour de justice.

En l'espèce, le juge britannique a donc sursis à statuer en attendant de connaître l'interprétation de la CJCE sur l'article 48 du traité de Rome et la directive 64/221.

Concernant l'article 48 du traité de Rome, la question de son effet direct ne posait guère de difficultés puisque la Cour de justice avait déjà, dans l'arrêt Van Gend en Loos, donné la marche à suivre pour les dispositions des traités.

Mais il n'en était pas de même concernant la directive 64/221, qui n'avait pas été transposée dans l’ordre interne britannique, malgré l'expiration du délai. Or au moment de l'arrêt Van Duyn, la Cour de justice n'avait jamais reconnu d'effet direct à une directive. Et plusieurs arguments existaient contre la reconnaissance de l'effet direct des directives. 

En particulier, le Royaume-Uni faisait valoir que l'article 189 du traité de Rome (devenu article 288 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne) précisait expressément que le règlement est « directement applicable dans tout État membre » mais n'en faisait pas de même pour la directive. Ainsi, selon un raisonnement a contrario, il faudrait en déduire que la directive est dépourvue d'effet direct.

 

La solution de l'arrêt Van Duyn

Dans son arrêt Van Duyn, la Cour de justice commence par énoncer que l'article 48 du traité de Rome, en ce qu'il est une disposition précise et inconditionnelle, est doté d'un effet direct. Mais comme expliqué précédemment, l'apport essentiel de l'arrêt ne se situe pas ici. C'est la question de la reconnaissance de l'effet direct de la directive 64/221 qui était au cœur de cette affaire.

Sur ce point, la Cour de justice a écarté l'interprétation littérale de l'article 189 du traité de Rome qui était proposée par le Royaume-Uni. Au contraire, la Cour a affirmé que "si, en vertu des dispositions de l'article 189, les règlements sont directement applicables et, par conséquent, par leur nature susceptibles de produire des effets directs, il n'en résulte pas que d'autres catégories d'actes visés par cet article ne peuvent jamais produire d'effets analogues". Ainsi, ce n'est pas parce que le traité de Rome consacre uniquement l'effet direct des règlements que les directives en sont toujours dépourvues. Certes, le règlement a un effet direct en raison de sa nature même, contrairement aux directives qui, en principe, ne sont pas de nature à produire un effet direct. Toutefois, celles-ci peuvent, exceptionnellement, créer directement des droits au profit des justiciables que les juridictions nationales doivent sauvegarder.

Pour soutenir que les directives sont susceptibles de produire un effet direct, la Cour énonce d'abord que l'exclusion de tout effet direct à leur profit « serait incompatible avec l'effet contraignant » qui leur est reconnu par l'article 189 du traité de Rome. Cet article disposait en effet que "la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre". Ainsi, un Etat qui n'a pas transposé une directive malgré l'expiration du délai est en situation de manquement vis-à-vis de ses engagements, et doit être sanctionné. Dans une volonté de sanctionner l’État en question, la Cour de justice considère que les particuliers doivent être en mesure d'invoquer à son encontre certaines dispositions de la directive. L'effet direct des directives permet donc d'assurer l'application effective des directives dans l'ordre juridique interne des États membres, en sanctionnant le non-respect par les autorités nationales de l'effet contraignant attaché aux directives par l'article 189 du traité de Rome.

La Cour poursuit en affirmant que « particulièrement dans les cas où les autorités communautaires auraient, par directive, obligé les États membres à adopter un comportement déterminé, l'effet utile d'un tel acte se trouverait affaibli si les justiciables étaient empêchés de s'en prévaloir en justice et les juridictions nationales empêchées de la prendre en considération en tant qu'élément du droit communautaire ». La Cour de justice se fonde donc sur le principe de l’effet utile. En droit de l'Union européenne, ce principe signifie qu'un texte qui a été adopté par les institutions de l'Union européenne doit effectivement avoir un impact sur le droit des Etats membres. Dans le cas d'une directive, l'effet utile impose donc de considérer que, même si elle n'a pas été transposée par un Etat membre, elle doit néanmoins avoir un effet dans le droit interne de cet Etat. Or pour garantir cet effet utile de la directive non transposée, cette dernière doit pouvoir être invoquée par les justiciables devant les juridictions nationales. Autrement, il suffirait à un Etat de ne pas transposer une directive pour se soustraire à ses effets.

Il faut toutefois préciser que cette consécration de la possibilité pour les directives de produire un effet direct ne signifie pas que toutes les dispositions de toutes les directives ont un effet direct. Comme le précise la Cour de justice dans son arrêt Van Duyn, il faut examiner, dans chaque cas, « la nature, l'économie et les termes de la disposition en cause ». A ce titre, l'effet direct ne peut être reconnu qu'aux dispositions remplissant les conditions de clarté, de précision et d'inconditionnalité traditionnellement exigées pour les dispositions des traités.

 

La portée de l'arrêt Van Duyn

La directive a pour particularité de garantir la souveraineté des Etats. En effet, si elle lie les États membres quant au résultat à atteindre, elle leur laisse toutefois "la compétence quant à la forme et aux moyens" (article 288 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, anciennement article 189 du traité de Rome), c'est-à-dire une certaine marge de manœuvre. Dès lors, en reconnaissant l’effet direct de certaines directives, l'arrêt Van Duyn semble porter atteinte à cette souveraineté. C'est pourquoi la réception de la jurisprudence Van Duyn dans les ordres juridiques internes ne s'est pas faite sans difficultés. A ce titre, dans son arrêt Cohn-Bendit du 22 décembre 1978, le Conseil d'Etat français a d'abord refusé de consacrer l'effet direct des directives. Ce n'est que dans un arrêt Mme Perreux du 30 octobre 2009 que les juges du Palais-Royal ont abandonné la jurisprudence Cohn-Bendit et rejoint la position de la Cour de justice, en jugeant que tout justiciable peut directement se prévaloir des dispositions d’une directive, à condition que le délai de transposition soit expiré et que les dispositions en cause soient précises et inconditionnelles.

En outre, l'arrêt Van Duyn était lacunaire quant à l'intensité de l'effet direct reconnu aux directives. S'agissait-il d'un effet direct uniquement vertical ? Ou bien l'effet direct des directives était-il également horizontal ? On distingue en effet deux types d’effet direct :

  • l'effet direct vertical : lorsque le droit de l’Union européenne est invoqué par un particulier à l’encontre d'un Etat
  • l'effet direct horizontal : lorsque le droit de l’Union européenne est invoqué par un particulier à l’encontre d’un autre particulier

Dans un arrêt Ratti du 5 avril 1979, la Cour de justice a précisé que l’effet direct reconnu aux directives était seulement vertical. Cela signifie que les dispositions d'effet direct d'une directive ne peuvent être invoquées par les particuliers qu'à l'encontre des États membres ; elles ne peuvent pas être invoquées à l'encontre d'autres particuliers. 

Enfin, le raisonnement tenu par la Cour de justice dans son arrêt Van Duyn, basé sur l'effet utile de la directive, l'exposait au reproche de remettre en cause la nature juridique de la directive en tant que technique de législation indirecte. C'est pourquoi la Cour a ajusté son raisonnement à partir de l'arrêt Ratti. Aujourd'hui, la Cour prend soin de préciser dans ses arrêts que l'effet direct d'une directive ne peut être reconnu que dans le cas où l'Etat membre n'a pas transposé la directive dans les délais. C'est donc l'absence de transposition de la directive à l'expiration du délai qui fonde le pouvoir et le devoir du juge national de l'appliquer directement à l'encontre de l'État défaillant.


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