L’arrêt Van Gend en Loos du 5 février 1963

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

arrêt Van Gend en Loos

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L'arrêt Van Gend en Loos est un arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes (aujourd'hui appelée Cour de justice de l'Union européenne) le 5 février 1963. Cet arrêt est, au même titre que l'arrêt Costa contre Enel du 15 juillet 1964, un arrêt fondateur du droit de l’Union Européenne en ce qu'il a consacré le principe de l'effet direct du droit de l'Union européenne.

 

Les faits

Le 9 septembre 1960, une entreprise de transport, nommée Van Gend en Loos, a importé un certain produit aux Pays-Bas depuis la République Fédérale d'Allemagne. L'administration fiscale néerlandaise a appliqué une nouvelle taxe de 8% à cette importation.

 

La procédure

L'entreprise Van Gend en Loos s'est rendue devant le juge néerlandais afin de contester le paiement de cette taxe. Elle soutenait que cette taxe était contraire à l'article 12 du traité de Rome de 1957 instituant la Communauté économique européenne (CEE) qui disposait que « les États membres s'abstiennent d'introduire entre eux de nouveaux droits de douane à l'importation et à l'exportation ou taxes d'effet équivalent ».

Dans le cadre de ce litige, le juge néerlandais a alors posé une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) afin de savoir si l'article 12 du traité de Rome a un effet interne (autrement dit, si les justiciables peuvent faire valoir, sur la base de cet article, des droits individuels que le juge doit sauvegarder).

Pour rappel, une question préjudicielle (ou renvoi préjudiciel) est une procédure permettant à une juridiction d'un État membre de l'Union européenne d'interroger la Cour de justice sur l'interprétation ou la validité d'un point de droit de l'Union dans le cadre d'un litige dont elle est saisie.

La juridiction qui demande à la Cour de justice son interprétation du texte applicable sursoit à statuer en attendant la réponse de la Cour. Elle statue ensuite au fond en se fondant sur l’interprétation de la Cour de justice.

En l'espèce, le juge néerlandais a donc sursis à statuer en attendant de connaître l'interprétation de la CJCE sur l'article 12 du traité de Rome.

Mais plus généralement, au-delà de l'article 12, il s'agissait pour la Cour de justice de déterminer si les dispositions du traité de Rome ont un effet direct, c'est-à-dire si les particuliers peuvent invoquer directement une disposition du traité de Rome devant une juridiction nationale.

Or en droit international, il était admis qu'en principe, les traités internationaux ne créent pas directement des droits et des obligations pour les particuliers.

A ce titre, plusieurs gouvernements, qui avaient présenté des observations, faisaient remarquer que l'article 12 ne mentionnait pas les particuliers, et créait donc seulement une obligation pour les États membres. Selon ces gouvernements, cette rédaction de l'article 12 traduisait la volonté des parties de ne pas lui conférer un effet direct.

De même, l'avocat général de la Cour de justice avait proposé de ne pas reconnaître d'effet direct à l'article 12.

 

La solution de l'arrêt Van Gend en Loos

Dans son arrêt Van Gend en Loos, la Cour de justice a écarté la solution traditionnelle du droit international et les arguments des gouvernements intervenant à l'instance selon lesquels l'intention des parties contractantes n'était pas de reconnaître un effet direct à l'article 12 du traité de Rome.

Au contraire, la Cour de justice a consacré l’effet direct du droit de l’Union européenne ; le droit de l'Union européenne crée non seulement des obligations pour les États membres, mais également des droits et obligations pour les particuliers. Les particuliers peuvent donc invoquer ces droits devant les juridictions nationales.

Pour consacrer cet effet direct, la Cour s'est appuyée sur la nature particulière du traité de Rome instituant la CEE. C'est la spécificité de l'ordre juridique communautaire qui est le fondement de l'effet direct. La Cour le démontre à l'aide de plusieurs arguments.

D'abord, la Cour de justice considère l'objectif du traité de Rome. Selon la Cour, en se fixant pour objectif l'instauration d'un marché commun, dont « le fonctionnement concerne directement les justiciables », les États membres ont admis que le traité de Rome « constitue plus qu'un accord qui ne créerait que des obligations mutuelles entre les États contractants ».

Ensuite, la Cour relève que le préambule du traité de Rome vise non seulement les Etats membres mais également leurs citoyens, et que les ressortissants des Etats membres contribuent au fonctionnement de la CEE en participant à des organes communautaires comme le Parlement européen et le Comité économique et social.

Enfin, la Cour énonce que l'article 177 du traité de Rome (aujourd’hui article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) instituant la procédure du renvoi préjudiciel « confirme que les États ont reconnu au droit communautaire une autorité susceptible d'être invoquée par leurs ressortissants » devant les juridictions nationales.

La Cour de justice déduit de ce triple argument politique, institutionnel et juridictionnel que « la Communauté constitue un nouvel ordre juridique de droit international, au profit duquel les États ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains, et dont les sujets sont non seulement les États membres, mais également leurs ressortissants » et que « partant, le droit communautaire, indépendant de la législation des États membres, de même qu'il crée des charges dans le chef des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique ».

Ce faisant, la Cour de justice consacre, sur le fondement de la spécificité du droit communautaire, le principe de l’effet direct (à noter que la Cour de justice utilisera le même fondement, un an plus tard dans son arrêt Costa contre Enel, pour consacrer un autre pilier de l'ordre juridique communautaire, à savoir le principe de primauté).

La Cour ajoute que les droits dont bénéficient les particuliers « naissent non seulement lorsqu'une attribution explicite en est faite par le traité, mais aussi en raison d'obligations que le traité impose d'une manière bien définie, tant aux particuliers qu'aux États membres et aux institutions communautaires ». Dans cette logique, les particuliers peuvent être titulaires de droits découlant d'une disposition communautaire dont ils ne sont pourtant pas formellement destinataires. Le fait de désigner les États membres comme sujets de l'obligation n'implique pas que leurs ressortissants ne puissent en être les bénéficiaires. Contrairement aux traités internationaux de type classique, le traité de Rome confère donc aux particuliers des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder, non seulement lorsque les dispositions en cause les visent expressément comme sujets de droits, mais également lorsqu'elles imposent aux États membres une obligation bien définie.

Toutefois, l'arrêt Van Gend en Loos fixe des conditions pour qu'une disposition puisse bénéficier de l'effet direct : celle-ci doit être "claire et inconditionnelle". La condition d'inconditionnalité signifie que la disposition ne doit être assortie d'aucune condition ni subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l'intervention d'aucun acte soit des institutions communautaires, soit des États membres. 


La portée de l'arrêt Van Gend en Loos

Certains auteurs ont pu écrire que « l'arrêt Van Gend en Loos contenait en germe l'arrêt Costa c/ Enel » (J.-V. Louis, Le droit de la CEE, vol. 10 : Bruxelles, Éditions de l'université de Bruxelles, 1983 ; Commentaire Mégret, 2e éd. ; La Cour de justice, les actes des institutions, p. 546). En effet, l'effet direct resterait lettre morte si un État pouvait s'y soustraire par un acte législatif opposable aux dispositions communautaires. Dès lors, la reconnaissance de l'effet direct par l'arrêt Van Gend en Loos préfigurait celle de la primauté du droit communautaire, qui aura lieu avec l'arrêt Costa contre Enel.

En définitive, l'arrêt Van Gend en Loos, avec l'arrêt Costa contre Enel, a permis de structurer l'ordre juridique de l'Union européenne. En reconnaissant aux particuliers la qualité de titulaires ou de bénéficiaires de droits individuels créés par le droit de l'Union européenne, la Cour de justice ouvrait la voie au futur statut de citoyen de l'Union. En effet, il n'aurait pas été possible, du point de vue de la construction juridique, de concevoir et d'inscrire la citoyenneté et les droits qui en découlent dans les traités sans la reconnaissance préalable de l'effet direct par l'arrêt Van Gend en Loos. 

Par ailleurs, le principe de l'effet direct dégagé par l'arrêt Van Gend en Loos a fait l'objet de précisions dans la jurisprudence ultérieure de la Cour de justice.

En premier lieu, la Cour de justice a opéré une évolution quant à la formulation des conditions de l'effet direct. Dans l'arrêt Ratti du 5 avril 1979 et l'arrêt Ursula Becker du 19 janvier 1982, la Cour de justice a affirmé qu'une disposition peut bénéficier de l'effet direct si elle est "inconditionnelle et suffisamment précise". A la condition de clarté, la Cour a donc substitué une condition de précision. Cependant, on trouve régulièrement dans les arrêts de la Cour la triple condition selon laquelle la disposition doit être suffisamment précise, claire et inconditionnelle (par exemple : CJCE, 4 mars 1999, Hospital Ingenieure Krankenhaustechnik Planungs-Gesellschaft mbH ; CJUE, 18 janv. 2022, Thelen Technopark Berlin).

En second lieu, dans son arrêt Van Gend en Loos, la Cour de justice n'avait consacré l'effet direct que pour les traités. Plus tard, la Cour affirmera que le principe de l'effet direct concerne également les actes de droit dérivé, et précisera sa portée selon le type d’acte. Ainsi, dans un arrêt Politi du 14 décembre 1971, la Cour de justice a consacré l'effet direct des règlements, sur le fondement de l'article 189 du traité de Rome (aujourd'hui article 288 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) selon lequel le règlement « a une portée générale » et « est directement applicable dans tout État membre ». En outre, les directives nécessitant d’être transposées dans le droit national des Etats membres, on pourrait supposer qu’elles sont dépourvues d’effet direct. Mais la Cour de justice, dans son arrêt Van Duyn du 4 décembre 1974, a reconnu aux directives un effet direct à condition qu'elles soient claires, précises, inconditionnelles, et que l’État membre n’ait pas transposé la directive dans les délais. Toutefois, l’effet direct ne peut être que vertical, et non horizontal : les directives peuvent être invoquées par les particuliers à l'encontre des États membres, mais ne peuvent pas être invoquées à l'encontre d'un autre particulier (CJCE, 5 avril 1979, Ratti).


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