Le revirement de jurisprudence

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

revirement de jurisprudence

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Le revirement de jurisprudence : définition

Qu’est-ce qu’un revirement de jurisprudence ?

Un revirement de jurisprudence est une décision rendue par une juridiction qui, pour une situation juridique donnée, se prononce en faveur d’une solution opposée à celle qui était appliquée précédemment.

Il faut bien comprendre qu’un arrêt n’est généralement pas isolé. Il s’inscrit dans un courant jurisprudentiel ; il est vraisemblablement précédé ou suivi d’autres arrêts rendus sur la même question.

Ainsi, on peut avoir des arrêts qui sont conformes aux arrêts rendus précédemment sur la même question (on parle de jurisprudence constante), et des arrêts qui ne le sont pas, des arrêts qui sont en rupture avec la jurisprudence précédente (on parle de revirements de jurisprudence).

Les revirements de jurisprudence sont le fait des juridictions suprêmes de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif, à savoir la Cour de cassation et le Conseil d’Etat.

Contrairement aux juridictions de premier et second degré, ces deux juridictions ne connaissent pas des faits de l’affaire ; elles réexaminent seulement le droit. Elles ne rejugent pas l’intégralité de l’affaire ; elles vérifient simplement que les juridictions inférieures ont correctement appliqué le droit. Elles cassent les décisions qui ont mal appliqué le droit, et inversement elles rejettent les recours contre les décisions qui ont correctement appliqué le droit.

Ainsi, lorsqu’elles réalisent un revirement de jurisprudence, ces juridictions consacrent l’application d’une nouvelle règle de droit pour une situation juridique donnée. Elles énoncent qu’à l’avenir, les situations juridiques similaires devront être régies par cette nouvelle règle de droit qu’elles ont dégagé.

Les revirements de jurisprudence sont rares.

Pourquoi ? Tout simplement car au regard des conséquences importantes qu’ils entraînent, ils doivent être mûrement réfléchis.

En effet, en consacrant un changement de la règle de droit applicable, les revirements de jurisprudence portent atteinte au principe de sécurité juridique.

En vertu du principe de sécurité juridique, un justiciable doit pouvoir prévoir les effets de la règle de droit : « Le principe de sécurité juridique implique que les citoyens soient, sans que cela appelle de leur part des efforts insurmontables, en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit applicable. Pour parvenir à ce résultat, les normes édictées doivent être claires et intelligibles, et ne pas être soumises, dans le temps, à des variations trop fréquentes, ni surtout imprévisibles » (rapport public 2006 du Conseil d’Etat).

Un revirement de jurisprudence est souvent imprévisible et porte alors nécessairement atteinte au principe de sécurité juridique. Le justiciable qui s’était renseigné sur l’état de la jurisprudence avant d’exercer son action en justice attendra nécessairement une décision conforme à la jurisprudence, conforme aux décisions rendues en la matière. Dès lors, un revirement, s’il est imprévisible, lui porte atteinte.

Mais de manière plus générale, il est important que la règle de droit soit prévisible car cela permet aux justiciables d’adapter leur comportement, de savoir ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. A l’inverse, si la règle de droit n’est pas prévisible, si l’interprétation de la règle de droit connaît des variations, il sera difficile pour les justiciables de connaître le comportement à adopter. C’est pourquoi il est souhaitable que les revirements de jurisprudence ne soient pas trop fréquents.

 

La rétroactivité des revirements de jurisprudence

Les revirements de jurisprudence sont par nature rétroactifs.

En effet, ils consacrent l’application d’une règle de droit opposée à celle qui était antérieurement appliquée par la jurisprudence. Dès lors, en cas de revirement de jurisprudence, l’application du droit faite par les juges du fond est appréciée par la juridiction suprême au regard d’une nouvelle règle de droit qui n’existait pas au moment où les juges du fond ont rendu leur décision.

De plus, cette nouvelle règle de droit est appliquée à une situation juridique antérieure à son adoption.

Ce caractère rétroactif par nature des revirements de jurisprudence emporte différentes conséquences.

Ainsi, cela permet d’imposer la nouvelle règle de droit, supposée meilleure que l’ancienne, même aux situations antérieures à son adoption. En outre, la rétroactivité a pour conséquence qu’il n’y a pas d’inégalité entre les situations antérieures à l’adoption de la nouvelle règle de droit et les situations postérieures.

En revanche, cela porte atteinte au principe de sécurité juridique puisqu’une nouvelle règle de droit est appliquée à une situation antérieure à son adoption. De plus, cela crée une inégalité entre les situations antérieures jugées avant le revirement et les situations antérieures jugées après le revirement ; ces deux types de situations ont été créés avant l’adoption de la nouvelle règle de droit, et pourtant ils sont jugés différemment.

Point important : la rétroactivité des revirements de jurisprudence est écartée dans certains cas.

Ainsi, dans son arrêt Radio France du 8 juillet 2004 (Cass. Civ. 2ème, 8 juillet 2004, n° 01-10.426), la Cour de cassation a écarté la rétroactivité d’un revirement de jurisprudence sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui consacre le droit à un procès équitable et le droit d’accès au juge. Cet arrêt Radio France a été confirmé par un arrêt SA La Provence rendu par l’Assemblée plénière le 21 décembre 2006 (Ass. Plén., 21 déc. 2006, n° 00-20.493).

De même, dans son arrêt Tropic du 16 juillet 2007, le Conseil d’Etat a écarté la rétroactivité d’un revirement de jurisprudence sur le fondement du principe de sécurité juridique.

 

Comment reconnaître un revirement de jurisprudence ?

Plusieurs points permettent de reconnaître un revirement de jurisprudence, ou au moins de reconnaître un arrêt qui n’est pas un revirement de jurisprudence.

Généralement, en cas de revirement de jurisprudence, la juridiction va vouloir faire connaître la nouvelle solution au plus grand nombre (juges, justiciables, etc…).

Dès lors, si c’est par exemple la Cour de cassation qui a effectué un revirement de jurisprudence, l’arrêt en question sera généralement publié au Bulletin. Inversement, si l’arrêt n’a pas été publié au Bulletin, il y a peu de chances qu’il s’agisse d’un revirement de jurisprudence.

Par ailleurs, un revirement de jurisprudence est généralement un arrêt de cassation, c’est-à-dire un arrêt qui annule la décision des juges du fond. En effet, les juridictions du fond rendent généralement des décisions conformes à la règle de droit qui avait été précédemment consacrée par la jurisprudence. Dès lors, puisqu’un revirement de jurisprudence consacre une solution opposée, il s’agira généralement d’un arrêt qui contredira la décision rendue par les juges du fond, et donc d’un arrêt de cassation.

 

Exemple de revirement de jurisprudence

Un bon exemple de revirement de jurisprudence est l’arrêt Chronopost du 30 mai 2006.

En effet, dans un premier arrêt Chronopost du 22 octobre 1996 (Cass. Com., 22 oct. 1996, n° 93-18.632), la Cour de cassation avait affirmé qu’une clause limitative de responsabilité qui porte sur une obligation essentielle du contrat et qui contredit la portée de l’engagement pris doit être réputée non écrite. Dans cet arrêt, la Cour de cassation avait donc dégagé deux conditions pour que la clause soit réputée non écrite ; non seulement la clause devait porter sur une obligation essentielle du contrat, mais elle devait également contredire la portée de l’engagement.

Il faut savoir qu’après cet arrêt Chronopost de 1996, d’autres arrêts ont été rendus sur la même question. Certains ont confirmé l’arrêt de 1996 et d’autres non.

En particulier, dans un autre arrêt Chronopost, cette fois en date du 30 mai 2006, la Cour de cassation a jugé qu’une clause limitative de responsabilité est réputée non écrite en cas de manquement à une obligation essentielle du contrat. Dans cet arrêt de 2006, la Haute juridiction n’a donc pas retenu la même double condition que dans l’arrêt de 1996, puisqu’elle n’a pas exigé que la clause contredise la portée de l’engagement pris. Selon cet arrêt de 2006, il suffisait qu’il y ait eu un manquement à une obligation essentielle du contrat pour que la clause soit réputée non écrite.

Ainsi, l’arrêt de 2006 marque une rupture avec l’arrêt de 1996 ; il s’agit d’un revirement de jurisprudence.

Mais ce n’est pas tout. Dans un arrêt Faurecia du 29 juin 2010, la Cour de cassation a énoncé que “seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur“. Ainsi, cet arrêt de 2010 rompt avec la jurisprudence de 2006 puisqu’il exige, comme l’exigeait l’arrêt de 1996, que la clause porte sur une obligation essentielle et qu’elle contredise la portée de l’engagement pour qu’elle soit réputée non écrite. Il s’agit donc d’un nouveau revirement de jurisprudence, par rapport à l’arrêt de 2006.

 

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