L’arrêt Costa contre ENEL du 15 juillet 1964

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

arrêt Costa contre Enel

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L'arrêt Costa contre Enel est un arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes (aujourd'hui appelée Cour de justice de l'Union européenne) le 15 juillet 1964. Il s'agit d'un arrêt fondamental en ce qu'il a consacré le principe de la primauté du droit de l'Union européenne sur le droit national des États membres.

 

Les faits

En 1962, le gouvernement italien décida de nationaliser le secteur de l'électricité. Pour ce faire, il créa l'entreprise publique ENEL (Ente Nazionale per l'Energia Elettrica) et regroupa l'ensemble des sociétés privées de production d'électricité au sein de ENEL.

M. Costa, alors actionnaire d'une des sociétés transférées à ENEL, en avait perdu ses droits à dividendes. Pour contester cette perte, il refusait de payer à ENEL ses factures d'électricité.

 

La procédure

Assigné en justice par la société ENEL, M. Costa soutint que la nationalisation décidée par le gouvernement italien ne respectait pas un certain nombre de dispositions du traité de Rome de 1957 instituant la Communauté économique européenne (CEE) et qui réunissait à l'époque la France, l'Allemagne, l'Italie et les pays du Benelux. En particulier, il affirmait que la nationalisation susmentionnée était contraire à l'article 37 du traité de Rome qui renforçait la libre circulation des marchandises en réduisant les monopoles nationaux.

Le juge italien ne pouvait pas répondre lui-même à cette question. Il a donc posé une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE).

Pour rappel, une question préjudicielle (ou renvoi préjudiciel) est une procédure permettant à une juridiction d'un État membre de l'Union européenne d'interroger la Cour de justice sur l'interprétation ou la validité d'un point de droit de l'Union dans le cadre d'un litige dont elle est saisie.

La juridiction qui demande à la Cour de justice son interprétation du texte applicable sursoit à statuer en attendant la réponse de la Cour. Elle statue ensuite au fond en se fondant sur l’interprétation de la Cour de justice.

En l'espèce, le juge italien a donc sursis à statuer en attendant de connaître l'interprétation de la CJCE sur les dispositions du traité de Rome et notamment l'article 37.

Il faut bien comprendre qu'au-delà de la question de la possibilité d'établir des monopoles nationaux au sein de la CEE, la Cour de justice devait avant tout se prononcer sur la nature juridique de la CEE ainsi que sur la portée du droit communautaire dans les droits internes des Etats membres.

En effet, le gouvernement italien, propriétaire de ENEL, reprochait au juge italien de demander une interprétation du traité de Rome qui ne serait pas nécessaire à la solution du litige. Selon le gouvernement italien, le juge national était tenu d'appliquer la loi interne.

Dès lors, la Cour de justice devait répondre à la question suivante : Le droit communautaire créé par la CEE s'applique-t-il aux Etats membres et à leurs ressortissants et prime-t-il sur les droits nationaux ?


La solution de l'arrêt Costa contre ENEL

Si la primauté du droit communautaire n'était sans doute pas étrangère (même inconsciemment) aux intentions des pères fondateurs (V. R. Schuman, Déclaration du 9 mai 1950), elle n'a pourtant jamais été consacrée explicitement par les traités. Dans son arrêt Costa contre Enel, la Cour de justice a dès lors utilisé un raisonnement spécifique afin de dégager le principe de primauté.

La Cour de justice a affirmé que : "à la différence des traités internationaux ordinaires, le traité de la CEE a institué un ordre juridique propre, intégré au système juridique des États membres lors de l'entrée en vigueur du traité et qui s'impose à leurs juridictions".

La Cour commence donc par énoncer la spécificité du droit communautaire par rapport aux traités internationaux. Cette spécificité tient à l'existence d'un ordre juridique autonome directement applicable dans le système juridique des Etats membres.

La Cour précise ensuite les raisons de cette spécificité : "en instituant une Communauté de durée illimitée dotée d'institutions propres, de la personnalité, de la capacité juridique, d'une capacité de représentation internationale et plus particulièrement de pouvoirs réels issus d'une limitation de compétence ou d'un transfert d'attributions des États à la Communauté ceux-ci ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et créé ainsi un corps de droit applicable à leurs ressortissants et à eux-mêmes."

Autrement dit, parce que les Etats membres ont doté la CEE de toutes ces caractéristiques (durée illimitée, institutions propres, personnalité et capacité juridiques, capacité de représentation internationale et pouvoirs réels transférés par les États), alors ils ont accepté de perdre une partie de leur souveraineté et de créer un droit communautaire directement applicable dans leurs systèmes juridiques.

La Cour poursuit en affirmant que : "cette intégration au droit de chaque pays membre de dispositions qui proviennent de source communautaire, et plus généralement, les termes et l'esprit du traité, ont pour corollaire l'impossibilité pour les États de faire prévaloir, contre un ordre juridique accepté par eux sur une base de réciprocité, une mesure unilatérale ultérieure qui ne saurait ainsi lui être opposable".

Ici, la Cour de justice consacre le principe de primauté du droit communautaire sur le droit des Etats membres ; si une règle nationale est contraire à une disposition du droit communautaire, les autorités des États membres doivent faire prévaloir la disposition communautaire.

La Cour prend également soin de donner les raisons de cette primauté. Elle énonce que :

  • "la force exécutive du droit communautaire ne saurait, en effet, varier d'un État à l'autre à la faveur des législations internes ultérieures, sans mettre en péril la réalisation des buts du traité visée à l'article 5, paragraphe 2, ni provoquer une discrimination interdite par l'article 7". Autrement dit, les règles adoptées en commun pour assurer le fonctionnement de l’espace communautaire en tant que marché commun doivent s’appliquer de manière uniforme dans tous les Etats membres sous peine de recréer des barrières entre eux et de faire perdre tout sens à la notion même de marché commun et de droit communautaire. Or la seule garantie absolue qu’une règle commune s’appliquera partout de la même manière est d’empêcher qu’une règle nationale vienne affecter dans tel ou tel Etat membre l’application de ladite règle commune. Seule la primauté du droit communautaire peut donc garantir cette uniformité.
  • "les obligations contractées dans le traité instituant la Communauté ne seraient pas inconditionnelles mais seulement éventuelles, si elles pouvaient être mises en cause par des actes législatifs futurs des signataires". En d'autres termes, les attributions de compétences par les Etats membres à la Communauté n’auraient aucun sens, aucune portée véritable en l'absence de primauté du droit communautaire.

Enfin, la Cour de justice conclut que : "il résulte de l'ensemble de ces éléments, qu'issu d'une source autonome, le droit né du traité ne pourrait donc, en raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu'il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même".

Par cette formule, la Cour de justice fait de la spécificité de l’ordre juridique communautaire le fondement même de sa primauté. L'intégration européenne implique l'unité et l'uniformité du droit communautaire. Ainsi, les Etats ne sauraient prétendre opposer leur droit à celui de la Communauté sans lui faire « perdre son caractère communautaire » et sans mettre « en cause la base juridique de la Communauté elle-même ». Si les Etats membres qui sont convenus de la création de la CEE veulent être cohérents avec leur intention première, ils se doivent donc d'accepter la primauté du droit communautaire comme la conséquence première et évidente de leur engagement. A ce titre, la primauté est une « condition existentielle » du droit de l'Union (P. Pescatore, L'ordre juridique des Communautés européennes : Presses universitaires Liège, 1975, p. 227 ; rééd. Bruxelles, Bruylant, 2010).


La portée de l'arrêt Costa contre ENEL

La primauté du droit communautaire dégagée par la Cour de justice dans son arrêt Costa c/ ENEL revêt un caractère général. 

D'abord, cette primauté bénéficie à l'ensemble des actes de droit communautaire. En effet, l'arrêt Costa c/ ENEL vise « le droit né du traité », ce qui implique le droit primaire (les traités), mais également les sources de droit dérivé (règlements, directives, décisions...). 

Ensuite, la primauté s'impose à tous les actes de droit interne, quelle que soit leur nature. L'arrêt Costa contre ENEL affirme en effet que le droit communautaire ne peut « se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu'il soit ». Cela signifie que le droit communautaire prime sur l'ensemble des actes de droit interne, qu'il s'agisse d'actes législatifs, administratifs, juridictionnels et même constitutionnels. L'arrêt Costa contre ENEL affirmait donc déjà en catimini la primauté du droit communautaire sur le droit constitutionnel des Etats membres. Par la suite, cette primauté sur les textes constitutionnels sera confirmée à de multiples reprises par la Cour de justice, et ce de manière plus explicite :

  •  « les droits fondamentaux tels qu’ils sont formulés par la constitution d’un État membre » ou « les principes d’une structure constitutionnelle nationale ne (sauraient) affecter la validité d’un acte de la Communauté et son effet sur le territoire » d’un État membre (CJCE, 17 déc. 1970, Internationale Handelsgesellschaft)
  • « le fait pour un État membre d’invoquer des dispositions de droit national, fussent-elles d’ordre constitutionnel, ne saurait affecter l’effet du droit de l’Union sur le territoire de cet État » (CJUE, 26 févr. 2013, Melloni)
  • « en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, il ne saurait être admis que les règles de droit national, fussent-elles d’ordre constitutionnel, portent atteinte à l’unité et à l’efficacité du droit de l’Union » (CJUE, 26 mai 2016, Ezernieki)

En outre, la portée du principe de primauté consacré par l'arrêt Costa contre Enel a été précisée par l'arrêt Simmenthal du 9 mars 1978. Dans cet arrêt, la Cour de justice a énoncé que le principe de primauté du droit communautaire a pour effet "d'empêcher la formation valable de nouveaux actes législatifs nationaux dans la mesure où ils seraient incompatibles avec des normes communautaires", avant d'ajouter que "tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, a l'obligation d'appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant inappliquée toute disposition éventuellement contraire de la loi nationale, que celle-ci soit antérieure ou postérieure à la règle communautaire". L'arrêt Simmenthal a donc consacré :

  • la primauté du droit communautaire sur les lois nationales postérieures
  • le rôle de juge communautaire au juge national, qui a le pouvoir et le devoir d’appliquer le droit communautaire et qui, en cas de disposition nationale contraire, devra l'écarter lui-même, sans attendre l'intervention du législateur ou du juge constitutionnel


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