L’acte administratif unilatéral : définition et régime

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

acte administratif unilatéral

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La définition d’acte administratif unilatéral

L’acte administratif unilatéral est :

  • Un acte juridique : autrement dit, il est une manifestation de volonté destinée à produire des effets de droit (c’est-à-dire des droits et des obligations).
  • Un acte unilatéral : en principe, il n’émane que d’une seule personne. Il se distingue donc du contrat administratif, qui est l’œuvre de plusieurs personnes.
  • Un acte émanant d’une autorité administrative. A ce titre, si l’acte émane généralement d’une personne publique, il peut également, dans certains cas, émaner d’une personne privée. Voir ci-dessous.
  • Un acte qui modifie l’ordonnancement juridique par les droits qu’il confère ou les obligations qu’il crée à l’égard des administrés indépendamment de leur consentement. Ainsi, l’administration peut imposer sa volonté à des personnes sans leur consentement (et sans l’autorisation d’un juge). C’est ce qu’on appelle le « privilège du préalable ». Les destinataires de l’acte doivent le respecter. S’ils le contestent devant un juge, le recours n’a pas d’effet suspensif : l’acte continue à s’appliquer tant que le juge n’a pas décidé de son illégalité.

 

Les personnes à l’origine de l’acte administratif unilatéral

Généralement, l’autorité administrative à l’origine de l’acte relève d’une personne publique. Il peut s’agir :

  • d’une autorité nationale. Exemples : Président de la République, Premier ministre, ministres.
  • d’un représentant de l’Etat au niveau territorial. Exemples : un préfet, un maire.

Mais l’acte peut également émaner d’une personne privée. Ainsi, les personnes privées qui gèrent un service public peuvent prendre des actes administratifs unilatéraux, à deux conditions (CE, 13 janvier 1961, Magnier) :

  • la décision doit être prise pour l’exécution de la mission de service public dont la personne privée est investie ; et
  • la décision doit être prise dans l’exercice d’une prérogative de puissance publique confiée à cette personne privée pour l’exécution de sa mission de service public.

Si ces deux conditions ne sont pas réunies, l’acte sera considéré comme un acte unilatéral de droit privé.

En outre, pour les personnes privées qui gèrent un service public industriel et commercial, seuls les actes réglementaires se rapportant à l’organisation dudit service public sont considérés comme des actes administratifs (T. confl., 15 janvier 1968, Compagnie Air France c/ Époux Barbier).

 

Les catégories d’actes administratifs

 

On distingue :

  • les actes réglementaires des actes non réglementaires ; et
  • les actes faisant grief des actes ne faisant pas grief.

 

Les actes réglementaires et les actes non réglementaires

Les actes réglementaires ont une portée générale et impersonnelle (la liste des destinataires de l’acte n’est pas définie). Ils s’appliquent à quiconque se trouvant, à un moment donné, dans leur champ d’application. Exemple : un arrêté municipal instituant une interdiction de fumer dans des lieux déterminés.

Les actes non réglementaires sont d’abord les actes individuels, ensuite les décisions d’espèce :

  • Les actes individuels : Contrairement aux actes réglementaires, les actes individuels s’appliquent à une ou plusieurs personnes, nommément désignées (les destinataires de l’acte sont identifiés ou identifiables). Exemples :  un permis de construire, un refus de titre de séjour…
  • Les décisions d’espèce : Ce sont des décisions ni réglementaires ni individuelles (article L. 221-7 du Code des relations entre le public et l’administration). Elles ne visent pas de personnes désignées, mais pour autant n’ont pas une portée générale et impersonnelle. Elles permettent l’application d’une réglementation préexistante à une opération particulière dont la réalisation impose leur édiction. Exemples : une déclaration d’utilité publique, une autorisation de mise sur le marché d’un médicament…

 

Les actes décisoires et les actes non décisoires

Un acte est décisoire lorsqu’il modifie ou affecte l’ordonnancement juridique.

A l’inverse, un acte n’est pas décisoire s’il n’a pas d’effet sur l’ordonnancement juridique. Les actes non décisoires sont :

  • Les actes préparatoires, au sens où ils préparent une mesure qui interviendra plus tard. Exemples :
    • les avis rendus par la commission spécialisée de la Haute autorité de santé (CE, 12 mai 2010, Société Roche, n° 316859).
    • la délibération par laquelle l’organe délibérant d’une collectivité territoriale émet un vœu (CE, 30 décembre 2011, Soc. Terra 95, n° 336383).
  • les actes de droit souple (qui ont pour objet d’orienter les comportements de leurs destinataires, mais qui ne créent pas par eux-mêmes de droits ou d’obligations). Cela inclut, entre autres :
    • Les circulaires, c’est-à-dire les notes d’organisation interne à un service émises par le chef de service, qui ont pour objet d’interpréter le droit existant.
    • Les lignes directrices, par lesquelles, comme les circulaires, le chef de service indique à ses subordonnés la façon d’interpréter et de mettre en œuvre un texte. Mais à la différence des circulaires, les lignes directrices n’expliquent pas le contenu du texte ; elles définissent un cadre pour les décisions individuelles qui seront prises en application de ce texte. Il s’agit ainsi de rendre cohérente l’action des agents appartenant à un même service.

Traditionnellement, seuls les actes décisoires pouvaient faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Mais il est aujourd’hui admis que certains actes non décisoires peuvent également faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

Concernant les actes non décisoires, on distingue plus précisément entre les actes préparatoires, qui ne peuvent pas faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, et les actes de droit souple (circulaires, lignes directrices…), qui peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir s’ils remplissent certains critères. En effet, on considère que certains actes de droit souple (qui ne produisent donc pas d’effets juridiques directs) peuvent tout de même faire grief à des administrés, ce qui justifie qu’ils puissent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

En particulier, le Conseil d’Etat a indiqué que « les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif » peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir « lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices » (CE, 12 juin 2020, GISTI).

Ainsi, les documents qui ont un caractère impératif (comme par exemple les circulaires qui donnent une interprétation impérative du droit applicable) et les lignes directrices ont des effets notables, et peuvent donc faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, mais ce ne sont pas les seuls documents qui ont de tels effets. Par exemple, les circulaires non impératives peuvent également faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir lorsqu’elles sont susceptibles d’avoir des effets notables. De manière plus générale, c’est la considération des effets déployés par un acte de droit souple qui détermine la recevabilité du recours pour excès de pouvoir. Si ces effets sont suffisamment importants, l’acte, parce qu’il fait grief en dépit de son caractère non impératif, est susceptible de recours.

Par exemple, le Conseil d’Etat a admis la recevabilité d’un recours pour excès de pouvoir contre un communiqué de presse du garde des Sceaux car celui-ci était de nature à produire des effets notables (CE, 15 décembre 2021, Association de défense des libertés constitutionnelles et le syndicat unité magistrats SNM FO).

 

Le régime de l’acte administratif unilatéral

 

Nous exposerons successivement les règles concernant :

  • l’élaboration de l’acte administratif unilatéral ;
  • l’application de l’acte administratif unilatéral ; et
  • la disparition de l’acte administratif unilatéral.

 

L’élaboration de l’acte administratif unilatéral

La compétence de l’auteur de l’acte

En principe, les textes déterminent quelle est l’autorité compétente pour élaborer tel acte. Par exemple, la Constitution indique que le Président de la République signe les décrets délibérés en conseil des ministres et que le Premier ministre signe les décrets.

La compétence de l’autorité se décline en 3 éléments :

  • La compétence matérielle (ratione materiae) : la compétence peut porter sur des domaines précis. Exemple : le maire est compétent pour la police municipale.
  • La compétence temporelle (ratione temporis) : la compétence s’exerce pendant une durée déterminée.
  • La compétence territoriale (ratione loci) : l’autorité peut agir sur une certaine partie du territoire (national, régional, etc…).

Il faut toutefois noter qu’une autorité peut être remplacée provisoirement en cas d’absence. C’est ce qu’on appelle l’intérim. L’intérimaire exerce alors l’ « intégralité des pouvoirs attachés à la fonction » qui lui est confiée (CE, 29 janvier 1965, Mollaret).

De plus, une autorité peut déléguer à une autre autorité l’exercice d’une partie de ses compétences.

La délégation n’est possible que si un texte l’autorise, ce qui est fréquent (CE, 25 février 1949, Rocin). En outre, elle ne peut pas porter sur les compétences essentielles de l’autorité délégante (CE, Ass., 13 mai 1949, Couvrat).

La procédure d’adoption de l’acte

D’abord, certains actes ne peuvent être pris qu’à l’issue d’une certaine procédure qui suppose la consultation d’organismes pour avis. Ces avis peuvent être simples (l’autorité administrative est libre de ne pas les suivre) ou conformes (dans ce cas, l’administration est tenue de les suivre).

Ensuite, les sanctions, les décisions individuelles défavorables, ainsi que celles qui sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d’une procédure contradictoire préalable (article L. 121-1 du Code des relations entre le public et l’administration). Dans ces hypothèses, la personne visée doit :

  • être informée de la procédure
  • pouvoir demander la communication du dossier la concernant (s’il s’agit d’une sanction)
  • avoir un délai raisonnable pour répondre, avant que l’administration ne se prononce

Par ailleurs, le principe est que l’acte ne doit être motivé que si un texte l’exige (CE, 24 avril 1964, Delahaye). Mais les décisions administratives individuelles défavorables, ainsi que celles qui dérogent aux règles générales fixées par la loi ou le règlement, doivent obligatoirement être motivées (articles L. 211-2 et L. 211-3 du Code des relations entre le public et l’administration).

De même, l’acte ne doit être écrit que si un texte l’exige. C’est pourquoi certains actes sont simplement verbaux (CE, 11 mai 1987, Divier).

Cela explique également pourquoi les décisions implicites sont aussi des actes administratifs unilatéraux : « le silence gardé pendant deux mois par l’administration sur une demande vaut décision d’acceptation » (article L. 231-1 du Code des relations entre le public et l’administration).

le silence de l'administration vaut acceptation

Enfin, si un texte exige que l’acte soit écrit, ce dernier doit alors être signé par l’autorité compétente (article L. 212-1 du Code des relations entre le public et l’administration). A défaut, l’acte est nul.

 

L’application de l’acte administratif unilatéral

L’entrée en vigueur de l’acte administratif unilatéral

Il faut distinguer entre les règlements et les décisions individuelles :

  • Pour les règlements : En principe, un acte réglementaire entre en vigueur le lendemain de l’accomplissement des formalités adéquates de publicité (publication au Journal officiel de la République française, ou affichage, selon les cas) (article L. 221-2 du Code des relations entre le public et l’administration).
  • Pour les décisions individuelles : Une décision individuelle favorable entre en vigueur dès sa signature ; si elle est défavorable, elle entre en vigueur à compter de sa notification à la personne visée.

En outre, il faut préciser qu’un acte administratif ne peut s’appliquer de manière rétroactive (CE, 25 juin 1948, Société du Journal l’Aurore ; article L. 221-4 du Code des relations entre le public et l’administration). Cela signifie qu’il ne peut pas produire d’effets juridiques à l’égard de situations qui existaient avant son entrée en vigueur.

L’exécution de l’acte administratif unilatéral

Si le ou les destinataires de l’acte ne s’y conforment pas, l’administration ne peut, en principe, recourir à des mesures d’exécution forcée ; elle ne peut que déclencher des sanctions pénales ou administratives.

Mais ce principe est assorti de limites ; l’administration peut recourir à l’exécution forcée de l’acte dans 3 hypothèses (T. confl., 2 décembre 1902, Société Immobilière de Saint-Just) :

  • en cas d’urgence.
  • si la loi le prévoit. Exemple : mise en fourrière d’un véhicule en stationnement gênant (article L. 325-1 du Code de la route).
  • s’il n’existe aucune autre voie de droit possible pour faire exécuter l’acte. Exemple : pas de sanction pénale.

 

La disparition de l’acte administratif unilatéral

La disparition d’un acte administratif peut avoir lieu par :

  • Une abrogation, qui met fin aux effets de l’acte seulement pour l’avenir.
  • Un retrait, qui met fin aux effets de l’acte pour l’avenir mais également pour le passé : l’acte est réputé n’avoir jamais existé. Il s’agit d’une exception au principe de non-rétroactivité des actes administratifs.

L’abrogation

Concernant les actes non créateurs de droits, l’administration peut toujours les abroger (article L. 243-1 du Code des relations entre le public et l’administration).

En revanche, concernant les actes créateurs de droits, l’administration ne peut les abroger que s’ils sont illégaux et si l’abrogation intervient dans un délai de 4 mois (article L. 242-1 du Code des relations entre le public et l’administration).

Par ailleurs, alors que cette prérogative n’était reconnue qu’à l’administration, le juge s’est arrogé le pouvoir de procéder lui-même à l’abrogation d’un acte administratif (CE, Sect., 19 novembre 2021, Association des avocats ELENA France et autres). Dans cette décision, le juge rappelle d’abord qu’il peut être saisi d’un recours pour excès de pouvoir aux fins d’annuler un acte administratif ; il apprécie alors la légalité de l’acte à la date de son édiction et s’il estime l’acte illégal, il l’annule rétroactivement. Mais le juge indique également que dans le cadre d’un tel recours, les conclusions subsidiaires tendant à l’abrogation de l’acte sont recevables. Ainsi, si le juge est saisi de conclusions à fin d’annulation recevables, il peut également l’être, à titre subsidiaire, de conclusions tendant à ce qu’il prononce l’abrogation de l’acte au motif d’une illégalité résultant d’un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction.

Le retrait

Les actes non créateurs de droits ne peuvent être retirés que s’ils sont illégaux et si le retrait intervient dans un délai de 4 mois (article L. 243-3 du Code des relations entre le public et l’administration).

Les actes créateurs de droits, de même que les actes non créateurs de droit, ne peuvent être retirés que s’ils sont illégaux et si le retrait intervient dans un délai de 4 mois (article L. 242-1 du Code des relations entre le public et l’administration).

 

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