L’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

arrêt Commune de Morsang-sur-Orge

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L’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge (CE, Ass., 27 octobre 1995, 136727) est un arrêt bien connu des étudiants en droit.

Cela n’est pas étonnant, tant les faits de cet arrêt sont atypiques et facilement mémorisables.

Mais au-delà des faits, l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge est un arrêt très important car il a affirmé qu’une activité peut être interdite si elle porte atteinte au respect de la dignité de la personne humaine…

 

Les faits

Une discothèque de la ville de Morsang-sur-Orge organise un « lancer de nain ».

Concrètement, le nain est harnaché et utilisé comme un projectile par des spectateurs. Le but est de le « lancer » le plus loin possible.

Deux précisions doivent être apportées :

  • d’abord, la sécurité du nain est assurée puisque ce dernier est équipé d’un casque et retombe (après le lancer) sur un matelas.
  • ensuite, le nain est consentant ; il participe librement à cette activité et est d’ailleurs payé pour cela.

Toutefois, le 25 octobre 1991, le maire de Morsang-sur-Orge prend un arrêté pour interdire l’activité de lancer de nain qui devait avoir lieu dans la discothèque. Il se fonde sur l’ancien article L. 131-2 du Code des communes, selon lequel « la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique ». Ainsi, le maire considère que la protection de l’ordre public lui permet d’interdire le lancer de nain.

 

La procédure

Mécontents de cette interdiction, la société gérant la discothèque et le nain portent l’affaire devant les tribunaux afin de faire annuler l’arrêté municipal.

Le 25 février 1992, le tribunal administratif de Versailles rend sa décision ; il annule l’arrêté du 25 octobre 1991 par lequel le maire avait interdit le lancer de nain. Selon les juges administratifs, même si le lancer de nain porte atteinte à la dignité de la personne humaine, son interdiction ne peut être prononcée en l’absence de circonstances locales particulières.

Ainsi, le tribunal administratif applique la jurisprudence Lutetia. En effet, dans un arrêt Société Les Films Lutetia du 18 décembre 1959, le Conseil d’Etat avait jugé qu’une interdiction peut se justifier par le respect de la moralité, en présence de circonstances locales particulières. En particulier, la projection d’un film pouvait être interdite en raison de l’immoralité du film et de circonstances locales particulières laissant penser qu’il pouvait y avoir des risques de troubles à l’ordre public. La projection du film avait donc été interdite à Nice, les circonstances locales faisant que dans cette municipalité, le film risquait de heurter davantage la moralité publique.

Si l’on revient à l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge, on comprend que le tribunal administratif fait application de cet arrêt Lutetia ; bien que le lancer de nain heurte la moralité, il ne peut être interdit à Morsang-sur-Orge puisqu’il n’y a pas de circonstances locales particulières. C’est en tout cas ce qu’ont considéré les juges de première instance.

Face à cette décision, le maire de Morsang-sur-Orge décide de saisir le Conseil d’Etat afin de faire annuler le jugement du tribunal administratif de Versailles.

 

La solution de l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge

Dans son arrêt Commune de Morsang-sur-Orge du 27 octobre 1995, le Conseil d’Etat affirme :

  • « qu’il appartient à l’autorité investie du pouvoir de police municipale de prendre toute mesure pour prévenir une atteinte à l’ordre public
  • que le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l’ordre public
  • que l’autorité investie du pouvoir de police municipale peut, même en l’absence de circonstances locales particulières, interdire une attraction qui porte atteinte au respect de la dignité de la personne humaine ».

Ainsi, le Conseil d’Etat commence par rappeler que le maire peut prendre toute mesure de police générale pour protéger l’ordre public. Il faut rappeler qu’on distingue deux catégories de police administrative :

  • la police administrative générale, dont le champ d’application est très large : elle vise à prévenir les atteintes à l’ordre public, sur un large territoire et pour un ensemble d’activités.
  • la police administrative spéciale, dont le champ d’application est plus limité : elle ne concerne qu’une activité déterminée (exemples : police de la chasse, des prix, de la concurrence…) ou des administrés particuliers (exemple : les étrangers).

Or au niveau de la commune, le titulaire du pouvoir de police générale est le maire. Ce dernier peut donc naturellement prendre les mesures qui s’imposent pour prévenir les atteintes à l’ordre public. Mais cette affirmation est classique ; ce n’est pas là que réside l’apport de l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge.

Là où l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge innove, c’est en considérant que le respect de la dignité humaine fait partie de l’ordre public. En conséquence, puisque le maire peut interdire toute activité qui porte atteinte à l’ordre public, il peut interdire une activité qui porte atteinte à la dignité humaine, et ce même en l’absence de circonstances locales particulières. Autrement dit, en cas d’atteinte à la dignité humaine, la mesure d’interdiction n’exige pas la concrétisation de circonstances locales ; elle n’a pas à être justifiée par un contexte local particulier. Au contraire, la seule atteinte à la dignité humaine la justifie.

En l’espèce, le Conseil d’Etat considère que le lancer de nain porte atteinte à la dignité de la personne humaine. Dès lors, le maire pouvait l’interdire « même en l’absence de circonstances locales particulières et alors même que des mesures de protection avaient été prises pour assurer la sécurité de la personne en cause et que celle-ci se prêtait librement à cette exhibition, contre rémunération ». C’est pourquoi le Conseil d’Etat annule le jugement du tribunal administratif de Versailles en date du 25 février 1992.

Ainsi, le consentement du nain ne suffit pas à justifier cette pratique. On remarque d’ailleurs que, selon le Conseil d’Etat, les principes de liberté du travail et de liberté du commerce et de l’industrie, dont se prévalaient le nain et la société gérant la discothèque, ne font pas obstacle à l’interdiction du lancer de nain.

Il y a lieu de comprendre qu’on ne peut pas porter atteinte à sa propre dignité. Le Conseil d’Etat consacre le caractère indisponible de la dignité humaine.

Ce faisant, la juridiction suprême de l’ordre administratif affirme que la notion d’ordre public n’a pas seulement un caractère matériel, mais englobe également une certaine conception de l’Homme.

Cette solution doit être analysée en parallèle de :

  • l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, selon lequel « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants »
  • la décision du Conseil constitutionnel n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994 qui avait consacré le respect de la dignité humaine en tant que principe à valeur constitutionnelle

 

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