La voie de fait en droit administratif : définition et utilité

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

voie de fait

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La voie de fait : définition

Selon l’arrêt Bergoend du 17 juin 2013, il y a voie de fait lorsque l’administration :

  • Soit a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d’un droit de propriété ;
  • Soit a pris une décision qui a les mêmes effets d’atteinte à la liberté individuelle ou d’extinction d’un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative (T. confl., 17 juin 2013, Bergoend).

En l’espèce, il a été jugé que l’implantation, même sans titre, d’un ouvrage public sur le terrain d’une personne privée ne constitue pas un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l’administration et n’aboutit pas à l’extinction d’un droit de propriété. Ainsi, une telle situation n’est pas constitutive d’une voie de fait.

Cette nouvelle définition de la voie de fait posée par l’arrêt Bergoend constitue une rupture avec une jurisprudence ancienne (T. confl., 8 avr. 1935, Action française). En effet, jusqu’à cet arrêt, la voie de fait désignait l’acte administratif portant atteinte au droit de propriété ou à une liberté fondamentale d’une manière si grave qu’il en perdait, en quelque sorte, son caractère administratif et était dès lors confié au juge judiciaire. Il fallait donc deux conditions pour qu’un acte administratif puisse être qualifié de voie de fait :

  • une atteinte au droit de propriété ou à une liberté fondamentale
  • une atteinte suffisamment grave pour entraîner la dénaturation de l’acte

On le voit donc clairement, la nouvelle définition de la voie de fait diffère de celle qui préexistait avant l’arrêt Bergoend.

D’abord, il y a aujourd’hui voie de fait en cas d’atteinte à une liberté individuelle et non plus d’atteinte à une liberté fondamentale. Or ces deux termes ne sont pas synonymes. Toute liberté individuelle est une liberté fondamentale. Mais toute liberté fondamentale n’est pas nécessairement une liberté individuelle. La liberté de la presse par exemple, est une liberté fondamentale mais n’est pas une liberté individuelle.

Ensuite, il y a voie de fait en cas d’extinction du droit de propriété, et non plus simplement en cas d’atteinte grave au droit propriété. Or l’extinction n’est qu’une des atteintes possibles au droit de propriété. Il peut effectivement exister de nombreuses atteintes au droit de propriété qui n’aboutissent pas nécessairement à son extinction.

La nouvelle définition donnée par l’arrêt Bergoend conduit donc à une restriction du champ de la voie de fait.

 

L’utilité de la notion de voie de fait

Très simplement, la notion de voie de fait est utile pour la répartition des compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire aux fins du contrôle de légalité des actes administratifs.

En effet, c’est en principe le juge administratif qui contrôle la légalité des actes pris par l’administration. Mais dans certains cas, c’est le juge judiciaire qui sera compétent en matière administrative.

D’abord, la loi peut attribuer un contentieux au juge judiciaire. Par exemple, le juge judiciaire est compétent pour trancher les contestations relatives aux impôts indirects et assimilés (droits d’enregistrement, taxe de publicité foncière…).

Mais ce n’est pas tout. Le juge judiciaire est également compétent en cas de voie de fait. Ainsi, pour les atteintes à la liberté individuelle et au droit de propriété qui sont constitutives d’une fois de fait, c’est le juge judiciaire qui sera compétent pour en ordonner la cessation ou la réparation.

Inversement, si l’atteinte à la liberté individuelle ou au droit de propriété ne réunit pas les conditions de la voie de fait, c’est le juge administratif qui sera compétent. Ainsi, puisque la qualification de voie de fait implique aujourd’hui une extinction du droit de propriété (et non plus simplement une atteinte grave au droit de propriété) ou une atteinte à une liberté individuelle (et non plus à une liberté fondamentale), le juge administratif sera compétent en cas d’atteinte au droit de propriété qui n’aboutit pas à son extinction ou en cas d’atteinte à une liberté qui n’est pas une liberté individuelle (comme la liberté de la presse par exemple).

Ainsi, dans l’arrêt Bergoend, étant donné que l’atteinte au droit de propriété n’avait pas abouti à son extinction, c’est le juge administratif qui a été reconnu comme compétent, et non le juge judiciaire.

Dans une autre affaire, un ressortissant sénégalais avait été maintenu pendant quarante-huit heures en zone d’attente d’un aéroport par décision du ministère de l’intérieur et ses documents d’identité italiens, suspectés d’être falsifiés ou contrefaits, avaient été retenus par la police des frontières. Le Tribunal des conflits a considéré qu’en plaçant l’intéressé en zone d’attente et en retenant ses documents d’identité au-delà du temps strictement nécessaire à l’exercice du contrôle d’identité et de la régularité de sa situation, la police des frontières avait pu porter atteinte à la liberté d’aller et venir de l’intéressé. Toutefois, le Tribunal des conflits a précisé que cette liberté n’entrait pas dans le champ de la liberté individuelle (au sens de l’article 66 de la Constitution), de sorte qu’une telle atteinte ne pouvait pas être considérée comme une voie de fait. Le litige relevait donc de la compétence du juge administratif (T. confl., 12 février 2018). Cette solution marque un revirement par rapport à la jurisprudence antérieure, qui avait tendance à considérer qu’une atteinte à la liberté d’aller et venir pouvait constituer une voie de fait (T. confl., 19 novembre 2001, Mohamed c/ Ministre de l’Intérieur).

On le voit avec ce dernier exemple ; la notion de liberté individuelle est plus restrictive que celle de liberté fondamentale. La redéfinition de la notion de voie de fait par l’arrêt Bergoend opère donc un renforcement de la compétence du juge administratif, au détriment du juge judiciaire.

 

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