L’arrêt Fullenwarth (Cass. Ass. Plén. 9 mai 1984, n° 79-16.612) est l’un des grands arrêts rendus le 9 mai 1984 par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation (au même titre que l’arrêt Derguini et l’arrêt Lemaire).
Il traite de la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur, et plus précisément de la question de savoir si l’enfant doit avoir commis une faute pour engager la responsabilité de ses parents, ou si un simple fait de l’enfant à l’origine du dommage suffit.
La responsabilité des parents du fait de l’enfant suppose en effet un certain nombre de conditions. En vertu de l’article 1242 alinéa 4 du Code civil (ancien article 1384 alinéa 4 du Code civil), il faut :
- que l’enfant soit mineur au moment des faits (Cass. Civ. 2ème, 25 octobre 1989)
- que les parents exercent sur lui l’autorité parentale
- que les parents cohabitent avec l’enfant
- que l’enfant ait commis un fait à l’origine du dommage
Cependant, pendant longtemps, la jurisprudence et la doctrine exigeaient que l’enfant ait commis une faute pour engager la responsabilité de ses parents ; un simple fait causal n’était pas suffisant.
Ainsi, il fallait que l’enfant soit capable de discerner les conséquences de ses actes pour que la responsabilité des parents puisse être engagée. En effet, avant les arrêts Derguini et Lemaire, également rendus le 9 mai 1984 par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation, la faute supposait un élément intentionnel ; il fallait avoir conscience de la portée de son acte pour pouvoir être fautif.
L’arrêt Fullenwarth est venu mettre un terme à cette exigence de faute (et donc de discernement) en affirmant que « pour que soit présumée, sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil, la responsabilité des père et mère d’un mineur habitant avec eux, il suffit que celui-ci ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage invoqué par la victime ».
Les faits de l’arrêt Fullenwarth
Le 4 août 1975, Pascal, jeune garçon âgé de 7 ans, décoche une flèche avec un arc qu’il avait confectionné en direction de son camarade David, et l’éborgne.
Le père de David décide d’assigner en responsabilité le père de Pascal, en sa qualité de civilement responsable de son fils Pascal sur le fondement de l’ancien article 1384 alinéa 4 du Code civil.
La procédure et les prétentions des parties
Dans un arrêt du 25 septembre 1979, la Cour d’appel de Metz déclare le père de Pascal entièrement responsable des conséquences de l’accident. Selon la Cour d’appel, en décochant une flèche en direction de son camarade David, Pascal a commis « un acte objectivement fautif » donnant lieu d’appliquer à l’égard de son père civilement responsable la présomption de l’ancien article 1384 alinéa 4 du Code civil.
La Cour d’appel considère donc que Pascal a commis une faute. Mais, comme expliqué précédemment, la faute supposait à cette époque un élément intentionnel. Il fallait avoir conscience des conséquences de ses actes pour pouvoir commettre une faute.
C’est pourquoi le père de Pascal a décidé se se pourvoir en cassation. Il reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché « si Pascal présentait un discernement suffisant pour que l’acte puisse lui être imputé à faute ». Il insiste sur le fait que Pascal avait seulement 7 ans lors de l’accident. Ainsi, selon lui, Pascal n’était pas capable de discerner les conséquences de ses actes et il ne pouvait donc pas commettre une faute au sens du droit de la responsabilité civile.
La question qui était posée à la Cour de cassation était donc la suivante : en vue d’engager la responsabilité de ses parents, peut-on considérer qu’un enfant a commis une faute alors même qu’il n’était pas doté de discernement ?
Constatant qu’il s’agissait d’une question de principe, le Premier président de la Cour de Cassation a renvoyé la cause et les parties devant l’Assemblée Plénière.
L’arrêt Fullenwarth : la responsabilité des parents du fait de l’enfant consacrée comme une responsabilité de plein droit
Dans son arrêt Fullenwarth, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation rejette le pourvoi du père de Pascal. Elle affirme que pour engager la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur, « il suffit que celui-ci ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage invoqué par la victime ».
Ainsi, le fait de l’enfant n’a pas nécessairement à être une faute. Il faut simplement que l’enfant ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage. Il n’est donc pas nécessaire de rechercher si l’enfant était ou non doté de discernement. La faute n’étant plus exigée pour engager la responsabilité des parents du fait de leur enfant, a fortiori, le discernement ne l’est plus non plus.
Par conséquent, étant entendu que Pascal a bien commis un acte qui a causé le dommage, il y a lieu de retenir la responsabilité de ses parents sur le fondement de l’ancien article 1384 alinéa 4 du Code civil.
Cet arrêt Fullenwarth vient donc consacrer la responsabilité des parents du fait de l’enfant mineur comme une responsabilité de plein droit, qui n’est pas subordonnée à une faute de l’enfant. Il s’inscrit dans un vaste mouvement de remise en cause de la faute comme fondement de responsabilité, par souci de protection des victimes.
Déjà, la loi n° 68-5 du 3 janvier 1968 avait intégré dans le Code civil un article 489-2 selon lequel « celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation ». Avec la réforme opérée par la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, cet article est devenu l’article 414-3 du Code civil.
On remarque toutefois que l’arrêt Fullenwarth peut sembler incohérent par rapport aux autres arrêts de l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation en date du 9 mai 1984. En effet, dans les arrêts Derguini et Lemaire, l’Assemblée Plénière n’abandonne pas la faute comme condition de la responsabilité du fait personnel. Elle affirme simplement que la faute de l’enfant ne suppose pas que ce dernier soit doté de discernement. Elle consacre la définition objective de la faute, détachée de tout élément intentionnel. Mais elle ne dit pas qu’un simple fait causal est suffisant pour caractériser la responsabilité du fait personnel.
Au contraire, dans l’arrêt Fullenwarth, la Cour de cassation affirme qu’un simple fait causal de l’enfant est suffisant pour engager la responsabilité de ses parents. Or la Cour de cassation aurait pu, comme elle l’a fait dans ses arrêts Derguini et Lemaire, maintenir l’exigence de faute pour engager la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur, tout en la délestant de la condition du discernement. En effet, si l’on retient une définition objective de la faute, il ne fait pas de doute que Pascal a commis une faute (décocher une flèche en direction d’un de ses camarades). C’est d’ailleurs le raisonnement qui avait été retenu par la Cour d’appel de Metz dans son arrêt du 25 septembre 1979 pour engager la responsabilité des parents de Pascal.
C’est pourquoi l’arrêt Fullenwarth a été remis en cause par la doctrine et la jurisprudence. En particulier, plusieurs juridictions du fond ont continué d’exiger la faute de l’enfant pour engager la responsabilité de ses parents.
Malgré tout, dans un arrêt Levert du 10 mai 2001, la Cour de cassation a réaffirmé la solution qu’elle avait dégagée dans son arrêt Fullenwarth en énonçant clairement que « la responsabilité de plein droit encourue par les père et mère du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant ».
Comme le GAJA en droit administratif, ne pourrait-on pas avoir celui de droit civil?
Super