Le Décret de Gratien (ou Decretum Gratiani) est une œuvre majeure du droit canonique, élaborée vers 1140, qui rassemble environ 4000 textes canoniques.
Le contexte de l’élaboration du Décret de Gratien
Il convient d’abord de définir la notion de droit canonique.
Le droit canonique (ou « droit canon ») est un ensemble de règles prises par l’Eglise portant sur le fonctionnement de l’Eglise et sur ses fidèles. Autrement dit, c’est le droit de l’Eglise.
Depuis l’Empire romain, le droit canonique regroupe les règles tirées de la Bible, mais aussi les règles et décisions adoptées lors des assemblées d’évêques (les « canons » des conciles) et les décrétales, c’est-à-dire les lettres émises par le pape en réponse à une question qui lui est posée.
Petit à petit, le droit canonique s’est émietté en une multitude de textes, ce qui a donné lieu à l’apparition de « collections canoniques », qui sont des recueils rassemblant différents textes.
Ces collections canoniques sont généralement le fruit d’initiatives privées, et ont surtout une vocation pratique ; le compilateur rassemble, à destination des praticiens, les textes qui lui semblent les plus efficaces et les plus dignes d’être diffusés sur un sujet donné. Dès lors, ces collections canoniques ont toujours une part de subjectivité, puisque le choix des textes rassemblés par le compilateur est biaisé par sa propre opinion.
Vers 1140, est élaboré à Bologne le Décret de Gratien, une collection canonique qui se distingue des autres. En effet, elle vise à rassembler l’ensemble du droit canonique existant. Au total, environ 4000 textes sont compilés.
On ne sait presque rien de son auteur, « Maître » Gratien, si ce n’est qu’il s’agissait vraisemblablement d’un moine. On ne sait pas non plus si le Décret de Gratien a été réalisé par le seul Gratien ou bien s’il s’agit d’un travail d’équipe.
L’objectif du Décret de Gratien
Le Décret de Gratien n’a pas pour seul but de rassembler des règles canoniques. Il vise surtout à résoudre les contradictions entre elles, à les concilier afin de rétablir la cohérence globale du droit canonique. En cela, il est une collection canonique d’un genre nouveau.
Cet objectif transparaît clairement dans le titre complet du Décret : Concordia discordantium canonum (la « concorde des canons discordants »).
Pour atteindre cet objectif de conciliation des textes canoniques, Gratien utilise la méthode dialectique du sic et non (« oui et non ») développée par le philosophe et théologien Pierre Abélard. Pour chaque question, Gratien rassemble les textes éventuellement applicables, mais les distingue en deux masses :
- la première masse est constituée des textes qui vont dans le sens du sic (le « oui »)
- la deuxième masse est constituée des textes qui vont dans le sens du non
Chaque masse regroupe donc des textes qui contredisent les textes de l’autre masse. Afin de résoudre la contradiction, Gratien ajoute à la fin de chaque question un commentaire (le dictum) qui propose une solution. La solution peut consister à suivre l’opinion sic, ou bien l’opinion non, ou alors à choisir une troisième voie.
La portée du Décret de Gratien
En raison de son ampleur et de sa volonté d’unification du droit canonique, le Décret de Gratien connaît un succès immédiat dans toute l’Europe occidentale. Non seulement il devient le texte de base à partir duquel on enseigne le droit canonique, mais il est également cité dans les tribunaux. Son succès est tel qu’il est reconnu par la papauté et recouvert par elle d’une autorité officielle.
Mais rapidement, le Décret de Gratien va se révéler insuffisant. En effet, entre 1140 et 1230, les papes successifs sont très actifs et multiplient les décrétales.
Environ un siècle après le Décret de Gratien, le pape Grégoire IX constate ainsi la nécessité de compiler et de remettre en ordre l’ensemble des décrétales. A ce titre, il ordonne de réunir dans une compilation officielle toutes les décrétales depuis le Décret de Gratien. Cette compilation, communément désignée comme les Décrétales de Grégoire IX ou le « Liber Extra », est promulguée en 1234.
Par la suite, d’autres compilations voient le jour afin de compléter le Décret de Gratien et les Décrétales de Grégoire IX :
- le « Sexte », promulgué en par le pape Boniface VIII, qui rassemble les décrétales postérieures aux Décrétales de Grégoire IX
- les « Clémentines », promulguées en 1317 par le pape Clément V
- les « Extravagantes de Jean XXII », promulguées en 1324 par le pape Jean XXII
- les « Extravagantes communes », une collection privée élaborée dans la seconde moitié du XIVe siècle
A la fin du Moyen Âge, cet ensemble de textes (Décret de Gratien + Décrétales de Grégoire IX + « Sexte » + « Clémentines » + « Extravagantes de Jean XXII » + « Extravagantes communes ») recevra le nom de Corpus juris canonici (« corpus de droit canonique »), par analogie avec le Corpus juris civilis de droit romain.
Ce Corpus juris canonici, ayant pour base le Décret de Gratien, constituera le droit canonique en vigueur jusqu’à la promulgation du Code de droit canonique en 1917.