L’arrêt Blanco du 8 février 1873

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

arrêt Blanco

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L’arrêt Blanco (Tribunal des conflits, 8 février 1873, 00012) est un arrêt bien connu des juristes. Il est même considéré comme le fondement du droit administratif.

Dans cet arrêt, le tribunal des conflits a affirmé que la responsabilité de l’Etat devait être apprécié non pas selon les règles du droit civil, mais selon des règles spéciales. La spécificité du droit administratif est donc consacrée ; l’activité de l’Etat doit être régie selon un droit spécifique, distinct du droit civil.

 

Les faits de l’arrêt Blanco

Une enfant est blessée par un wagon poussé par des employés d’une manufacture de tabac, exploitée en régie par l’Etat.

Afin d’obtenir des dommages-intérêts, le père de l’enfant intente une action en responsabilité contre l’Etat, représenté par le préfet de la Gironde, sur le fondement des anciens articles 1382 et suivants du Code civil. Pour rappel, les anciens articles 1382 et suivants du Code civil (aujourd’hui articles 1240 et suivants du Code civil) étaient le siège de la responsabilité civile. Selon le père, l’Etat était donc civilement responsable du dommage causé par les employés de la manufacture de tabac.

Point important : le père intente son action devant la juridiction judiciaire (en l’occurrence, à l’époque, le tribunal civil de Bordeaux).

 

La procédure

Le 29 avril 1872, le préfet de la Gironde propose un déclinatoire de compétence. Autrement dit, le préfet estime que le litige relève non pas de la juridiction judiciaire, mais de la juridiction administrative. Il demande donc au tribunal civil de Bordeaux de décliner sa compétence (c’est-à-dire de se déclarer incompétent).

Pour autant, le 17 juillet 1872, le tribunal civil de Bordeaux rejette le déclinatoire de compétence ; il s’estime compétent pour trancher le litige.

Le 22 juillet 1872, le préfet décide de prendre un arrêté de conflit. Un arrêté de conflit est une décision préfectorale qui oblige la juridiction judiciaire à surseoir à statuer jusqu’à ce que le tribunal des conflits règle la question de la compétence. En conséquence, le 24 juillet 1872, le tribunal civil de Bordeaux doit surseoir à statuer sur la demande.

Dans un tel cas, on dit que le conflit est « élevé ». Il s’agit d’un conflit positif ; malgré l’avis contraire de l’administration, la juridiction judiciaire estime être compétente pour trancher le litige. Il revient alors au tribunal des conflits, dont le rôle est de trancher les différends relatifs à la compétence du juge administratif ou du juge judiciaire, de résoudre le conflit.

 

Le problème de droit

La question à laquelle le tribunal des conflits devait répondre était donc la suivante : les juridictions judiciaires sont-elles compétentes pour connaître des dommages causés par les services publics de l’Etat ? Ou au contraire ces dommages sont-ils de la compétence des juridictions administratives ?

 

La solution de l’arrêt Blanco

Dans son arrêt Blanco du 8 février 1873, le tribunal des conflits affirme que :

  • « la responsabilité, qui peut incomber à l’Etat, pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie dans le service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil, pour les rapports de particulier à particulier » ; et que
  • « cette responsabilité n’est ni générale, ni absolue ; qu’elle a ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’Etat avec les droits privés ».

Ainsi, le tribunal des conflits :

  • retient la responsabilité de l’Etat à raison des dommages causés par des employés de services publics
  • mais précise qu’il ne s’agit pas d’une responsabilité civile. En effet, la responsabilité de l’Etat doit être appréciée selon les règles du droit administratif.

En conséquence, le tribunal des conflits consacre la compétence des juridictions administratives pour connaître des dommages causés par des services publics. Selon les termes de l’arrêt, « l’autorité administrative est seule compétente pour en connaître », mais il faut comprendre le terme d’ « autorité » dans le sens de « juridiction ».

Est donc consacré un lien entre le droit applicable (le droit administratif) et la compétence des juridictions administratives ; en principe, la compétence des juridictions administratives se déduit de l’application, dans un litige donné, du droit administratif. On dit que « la compétence suit le fond ».

Il faut bien comprendre que le critère de la compétence des juridictions administratives est le service public. En effet, dans ses conclusions, le commissaire du gouvernement David affirme que « quelque ressemblance que le service des Tabacs puisse offrir avec l’industrie privée, il n’en est pas moins un service public comme les autres dans la gestion desquels l’Etat agit toujours comme puissance publique ».

Au final, on peut résumer les apports de l’arrêt Blanco de la manière suivante :

  • le droit civil ne s’applique pas à l’Etat et à ses services publics
  • l’Etat est responsable des fautes commises par les employés de ses services publics (l’arrêt Blanco met donc fin au principe de l’irresponsabilité de l’État)
  • il ne s’agit pas d’une responsabilité civile, mais d’une responsabilité administrative
  • ce sont les juridictions administratives qui sont compétentes pour en connaître

 

La portée de l’arrêt Blanco

Si l’arrêt Blanco est bien entendu un arrêt majeur du droit administratif, sa portée doit toutefois être relativisée.

En particulier, le service public n’est plus le seul critère de répartition de la compétence entre les juridictions judiciaires et les juridictions administratives.

En effet, depuis un arrêt Société commerciale de l’Ouest africain du 22 janvier 1921, ce sont les juridictions judiciaires qui sont compétentes pour l’activité des services publics industriels et commerciaux.

Il existe en effet deux types de services publics : les services publics administratifs et les services publics industriels et commerciaux. Tout service public est présumé administratif, mais un service public peut être considéré comme industriel et commercial si :

  • son objet est semblable à celui d’une entreprise privée
  • il est géré comme une entreprise privée
  • il puise l’essentiel de ses ressources financières dans les redevances payées par les usagers

La conséquence de cette distinction est que les services publics industriels et commerciaux appliquent le droit civil, et non le droit administratif, dans leurs relations avec les usagers. De plus, comme nous le dit l’arrêt Société commerciale de l’Ouest africain, ils relèvent de la compétence du juge judiciaire.

En ce qui concerne les services publics gérés par des personnes privées, ils relèvent en principe des juridictions judiciaires, sauf si le gestionnaire dispose de prérogatives de puissance publique (CE, 23 mars 1983, S.A. Bureau Véritas et autres) (auquel cas ils relèvent des juridictions administratives).

Par ailleurs, dans certains domaines, c’est la loi qui détermine les juridictions compétentes. On peut citer comme exemple la loi du 31 décembre 1957 attribuant compétence aux tribunaux judiciaires pour statuer sur les actions en responsabilité des dommages causés par tout véhicule et dirigés contre une personne de droit public. A ce titre, le wagon de l’arrêt Blanco pouvant être considéré comme un véhicule, si des faits similaires avaient lieu aujourd’hui, ce sont les juridictions judiciaires qui seraient déclarées compétentes.

Enfin, même si l’arrêt Blanco a mis fin au principe d’irresponsabilité de l’Etat, il faut souligner qu’il existe toujours des domaines dans lesquels l’Etat est irresponsable. Par exemple, les opérations militaires ne peuvent pas, en principe, engager la responsabilité de l’Etat (CE, 23 juillet 2010, Société Touax).

 

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