L’arrêt Simmenthal du 9 mars 1978

Par Maxime Bizeau, Avocat de formation, diplômé de l'école d'avocats du Barreau de Paris

arrêt Simmenthal

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L'arrêt Simmenthal est un arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes (aujourd'hui appelée Cour de justice de l'Union européenne) le 9 mars 1978. Cet arrêt a imposé aux juges nationaux, en cas de contrariété entre une norme nationale et le droit communautaire, d'écarter l'application de la norme nationale, que celle-ci soit antérieure ou postérieure à la règle communautaire.

 

Les faits et la procédure

La société italienne Simmenthal exerçait une activité d'importation de viande bovine. En 1973, dans le cadre de cette activité, Simmenthal avait importé de la viande française en Italie. Puisqu'elle provenait de l'étranger, cette viande avait fait l'objet d'un contrôle sanitaire pour lequel Simmenthal avait dû payer une taxe, en application du "texte unique" des lois sanitaires italiennes.

La société Simmenthal, considérant que cette taxe était contraire à la libre circulation des marchandises au sein du marché commun de la Communauté Economique Européenne (ancêtre de l'Union européenne), se rendit devant le juge italien afin d'obtenir un remboursement de ladite taxe.

Le juge italien va alors saisir la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) d'une question préjudicielle afin de vérifier la compatibilité de la loi sanitaire italienne en vertu de laquelle la taxe avait été prélevée, avec le droit communautaire et notamment le règlement du Conseil n° 805/68 du 27 juin 1968 portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine.

Pour rappel, une question préjudicielle (ou renvoi préjudiciel) est une procédure permettant à une juridiction d'un État membre de l'Union européenne d'interroger la Cour de justice sur l'interprétation ou la validité d'un point de droit de l'Union dans le cadre d'un litige dont elle est saisie.

La juridiction qui demande à la Cour de justice son interprétation du texte applicable sursoit à statuer en attendant la réponse de la Cour. Elle statue ensuite au fond en se fondant sur l’interprétation de la Cour de justice.

En l'espèce, la CJCE a répondu à cette question préjudicielle du juge italien par un arrêt du 15 décembre 1976 dans lequel elle a considéré que les taxes sanitaires qui avaient été prélevées sont assimilables à des droits de douane et contreviennent dès lors à la libre circulation des marchandises.

Suite à la réponse de la Cour de justice et considérant que la perception des taxes en question était contraire au droit communautaire, le juge italien a adressé à l'Administration des Finances italienne l'injonction de rembourser à la société Simmenthal les taxes indûment perçues.

Toutefois, l'Administration des Finances italienne va refuser de rembourser la société Simmenthal, arguant que :

  • la loi italienne en vertu de laquelle les taxes sanitaires avaient été prélevées, qui datait du 30 décembre 1970, était postérieure au droit communautaire applicable en l'espèce
  • le juge ordinaire italien ne pouvait pas refuser d'appliquer une loi nationale qui n'avait pas été préalablement déclarée inconstitutionnelle par la Cour constitutionnelle italienne. Autrement dit, selon l'Administration des Finances italienne, seule la Cour constitutionnelle pouvait, après avoir été saisie de la question, déclarer cette loi contraire à la Constitution et ainsi écarter son application.

Face à cette opposition de l'Administration des Finances, le juge italien va de nouveau poser une question préjudicielle à la Cour de justice afin de savoir si, en cas de contrariété entre le droit communautaire et une loi nationale postérieure, la loi nationale doit être considérée de plein droit comme inapplicable sans qu'il soit nécessaire d'attendre son élimination par le législateur national lui-même ou par le juge constitutionnel.

La Cour de justice devait donc préciser les conséquences de l'applicabilité directe du droit communautaire en cas d'incompatibilité avec une loi nationale postérieure.


La solution de l'arrêt Simmenthal

Dans son arrêt Simmenthal du 9 mars 1978, la Cour de justice énonce que : "en vertu du principe de la primauté du droit communautaire, les dispositions du traité et les actes des institutions directement applicables ont pour effet, dans leurs rapports avec le droit interne des États membres, non seulement de rendre inapplicable de plein droit, du fait même de leur entrée en vigueur, toute disposition contraire de la législation nationale existante, mais encore – en tant que ces dispositions et actes font partie intégrante, avec rang de priorité, de l'ordre juridique applicable sur le territoire de chacun des États membres – d'empêcher la formation valable de nouveaux actes législatifs nationaux dans la mesure où ils seraient incompatibles avec des normes communautaires."

Il faut savoir que préalablement à l'arrêt Simmenthal, le principe de primauté du droit communautaire sur le droit national des Etats membres avait été reconnu par la CJCE dans son arrêt Costa contre Enel du 15 juillet 1964. Avec l'arrêt Simmenthal, la CJCE avait donc l'occasion de préciser la portée de ce principe. C'est ce qu'elle a fait en affirmant clairement que le droit communautaire prime non seulement sur les lois nationales antérieures, mais également sur les lois nationales postérieures. En effet, selon la Cour de justice, les lois nationales postérieures ne sont pas valablement formées si elles sont contraires aux normes communautaires.

La Cour de justice s'explique en énonçant que "le fait de reconnaître une efficacité juridique quelconque à des actes législatifs nationaux empiétant sur le domaine à l'intérieur duquel s'exerce le pouvoir législatif de la Communauté, ou autrement incompatibles avec les dispositions du droit communautaire, reviendrait à nier, pour autant, le caractère effectif d'engagements inconditionnellement et irrévocablement assumés par les Etats membres, en vertu du traité, et mettrait ainsi en question les bases mêmes de la Communauté".

Cela rappelle la formulation de l'arrêt Costa contre Enel selon lequel l’absence de primauté du droit communautaire ferait perdre à celui-ci « son caractère communautaire » et mettrait en cause « la base juridique de la Communauté elle-même ». Concrètement, le projet spécifique communautaire, projet d’intégration juridique, projet de constitution d’un marché commun, qui interdit d’envisager toute atteinte au jeu des règles communes, n’aurait plus de sens si les Etats membres pouvaient moduler unilatéralement l’application des règles communes. En créant la Communauté Economique Européenne, les Etats membres se sont engagés à mettre en place un marché commun nécessitant un droit communautaire applicable de manière uniforme au sein de ce marché commun. Dès lors, un Etat membre ne saurait faire prévaloir une loi nationale, même postérieure, vis-à-vis du droit communautaire.

Ensuite, la Cour de justice va préciser qui est en charge d'écarter l'application de la loi nationale contraire au droit communautaire. Le juge national ordinaire peut-il le faire lui-même ou est-ce l'apanage du législateur national ou du juge constitutionnel ? Dans son arrêt Simmenthal, la Cour de justice affirme que "le juge national chargé d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l'obligation d'assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu'il ait à demander ou à attendre l'élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel".

Par cette formule, la Cour de justice fait du juge national ordinaire un véritable juge communautaire,  qui a le pouvoir et le devoir d'écarter l'application d'une loi nationale contraire au droit communautaire, sans attendre son abrogation par le législateur ou une déclaration d'inconstitutionnalité du juge constitutionnel

Cette solution doit être saluée car dans le cas contraire, la loi nationale contrevenant au droit communautaire continuerait à s'appliquer jusqu'à ce qu'intervienne son abrogation ou la déclaration d'inconstitutionnalité en question, empêchant dès lors l'application uniforme du droit communautaire. 


La portée de l'arrêt Simmenthal

La jurisprudence Simmenthal confiant au juge national ordinaire la faculté d'écarter l'application de la loi nationale contraire a été confirmée à de multiples reprises par la Cour de justice (CJCE, 20 mars 2003, Kutz-Bauer ; CJCE, 3 mai 2005, Berlusconi e.a. ; CJCE, 19 nov. 2009, Filipiak). 

Toutefois, certains juges nationaux, et notamment le Conseil d'Etat français, ont montré des réticences à s'aligner sur la conception de la Cour de justice en la matière. Si la Cour de cassation française, dès son arrêt Jacques Vabre du 24 mai 1975, a consacré la primauté du droit communautaire sur la loi nationale, même postérieure, et autorisé le juge judiciaire à écarter l’application d’une loi nationale contraire au droit communautaire, le Conseil d'Etat continuait de privilégier une vision légicentriste, conformément à sa « jurisprudence des semoules » (CE, Sect., 1er mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoules de France) selon laquelle la loi postérieure à un traité international exprime le dernier état de la volonté générale et doit en conséquence être appliquée par le juge national, même si elle est incompatible avec ledit traité. En définitive, le Conseil d'Etat n'a véritablement reconnu la primauté du droit communautaire sur la loi française postérieure que depuis l'arrêt Nicolo du 20 octobre 1989 dans lequel il a octroyé au juge administratif le pouvoir de contrôler la conformité d’une loi postérieure au droit communautaire et d'écarter l'application de ladite loi en cas d'incompatibilité.


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