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L'évolution de la société a entraîné un développement considérable des nuisances entre voisins : nuisances sonores, pollution, odeurs, etc...
Si certaines nuisances peuvent être considérées comme inhérentes à la vie en société, les nuisances excessives doivent pouvoir être sanctionnées, d'où le recours à la théorie des troubles anormaux de voisinage.
D’origine jurisprudentielle, la théorie des troubles anormaux de voisinage a été codifiée par la loi n° 2024-346 du 15 avril 2024 à l’article 1253 du Code civil, qui dispose que « le propriétaire, le locataire, l'occupant sans titre, le bénéficiaire d'un titre ayant pour objet principal de l'autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d'ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l'origine d'un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte ».
Dans cet article, nous exposerons les origines de la théorie des troubles anormaux de voisinage, avant d'étudier les éléments constitutifs et le régime juridique du trouble anormal de voisinage.
Les origines de la théorie des troubles anormaux de voisinage
Dans un premier temps, la jurisprudence a traité le trouble anormal de voisinage sur le fondement de l'abus du droit de propriété. L'idée est qu'un propriétaire peut abuser de son droit de propriété et ainsi nuire à son voisin de sorte qu'il peut engager sa responsabilité sur ce fondement (Cass. Req. 3 août 1915, n° 00-02.378).
La théorie de l'abus du droit de propriété s'est cependant révélée insuffisante pour mettre fin à tous les conflits de voisinage. En effet, les conditions de l'abus du droit de propriété (à savoir l'absence d'utilité pour le propriétaire et l'intention de nuire au voisin) étaient difficiles à réunir. De plus, le fondement de l'abus du droit de propriété étant l'ancien article 1382 du Code civil (aujourd'hui article 1240 du Code civil), il fallait démontrer la faute du propriétaire pour obtenir la cessation du trouble. Or certaines situations, même en l'absence de faute, pouvaient occasionner des nuisances pour les voisins (exemple : une compagnie de transport ferroviaire exploitant des trains causant des désagréments aux personnes résidant à proximité des voies ferrées).
Face à ces difficultés, la jurisprudence, à partir des années 1970-1980, a séparé le trouble anormal de voisinage de la théorie de l'abus du droit de propriété. En particulier, dans un célèbre arrêt du 19 novembre 1986 (Cass. Civ. 2ème, 19 nov. 1986, n° 84-16.379), la Cour de cassation a créé un principe autonome selon lequel "nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage". En vertu de ce principe, la personne à l’origine d’un trouble anormal de voisinage en doit réparation, indépendamment de toute faute. Par cet arrêt du 19 novembre 1986, la Cour de cassation a ainsi mis fin à l'exigence de faute.
Enfin, ce principe jurisprudentiel a été codifié par la loi n° 2024-346 du 15 avril 2024 à l’article 1253 du Code civil. Selon cet article, « le propriétaire, le locataire, l'occupant sans titre, le bénéficiaire d'un titre ayant pour objet principal de l'autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d'ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l'origine d'un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte ».
A noter : L'article 1253 du Code civil issu de la loi n° 2024-346 du 15 avril 2024 ne fait que consacrer la jurisprudence antérieure qui avait dessiné les contours de la responsabilité pour trouble anormal de voisinage.
Les éléments constitutifs du trouble anormal de voisinage
Pour que la responsabilité pour trouble anormal de voisinage soit engagée, il faut :
- un trouble de voisinage, c'est-à-dire un trouble entre voisins
- que ce trouble ait un caractère anormal
Un trouble de voisinage
Il faut que le trouble ait lieu entre voisins. La jurisprudence retient toutefois une conception très large de la notion de voisinage. Ainsi :
- Le trouble ne doit pas forcément avoir lieu entre des fonds contigus. Il peut au contraire avoir lieu entre des fonds relativement éloignés ; il suffit que la victime subisse réellement le trouble. Exemple : une pollution peut être subie à plusieurs kilomètres.
- L'auteur du trouble n'a pas nécessairement à être propriétaire. Comme l'énonce l'article 1253 du Code civil, un locataire, un occupant sans titre, un exploitant ou un maître d’ouvrage peut être l’auteur d’un trouble anormal de voisinage. En outre, le trouble peut être causé autant par l’auteur direct (exemple : celui qui fait du bruit) que par l’auteur indirect (exemples : le propriétaire de l'appartement ou le locataire qui a laissé faire). C'est pourquoi le propriétaire d’un appartement doit réparer le dommage résultant d’un trouble anormal de voisinage dont son locataire est l'auteur, même s’il a mis en demeure son locataire de mettre fin aux nuisances (Cass. Civ. 3ème, 17 avril 1996). On peut également citer une affaire dans laquelle le propriétaire avait vu sa responsabilité engagée alors que l’auteur du trouble était un sous-locataire exploitant un parc d'attractions (Cass. Civ. 2ème, 31 mai 2000, n° 98-17.532). Au final, dans de nombreuses situations, la victime a le choix : elle peut agir soit contre l'auteur direct du trouble soit contre le propriétaire. Elle peut même assigner plusieurs personnes pour obtenir une condamnation in solidum.
- La victime du trouble n'a pas nécessairement à être propriétaire. A cet égard, la Cour de cassation a affirmé que "le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble de voisinage s'applique à tous les occupants d'un immeuble en copropriété quel que soit le titre de leur occupation" (Cass. Civ. 2ème, 17 mars 2005, n° 04-11.279). Ainsi, la victime du trouble peut être un propriétaire, mais également un locataire ou un occupant sans titre.
Un trouble anormal
Pour être sanctionné, le trouble doit présenter un certain seuil de gravité, ou une certaine continuité. Par exemple, des nuisances sonores seront considérées comme un trouble anormal si elles sont importantes, ou répétitives (ou les deux). Il ne faut pas nécessairement que les nuisances soient permanentes ; il suffit qu'elles soient durables ou qu'elles se produisent à intervalles réguliers.
L'appréciation du caractère anormal du trouble est laissée au pouvoir souverain des juges du fond, qui procèdent à une appréciation in concreto. Ainsi, le caractère anormal du trouble est apprécié selon les circonstances de temps (est-on le jour ou la nuit ? est-on le week-end ou la semaine ?) et de lieu (est-on en plein centre-ville, dans une zone plus résidentielle ou à la campagne ?).
Par exemple, la construction d'un lotissement en limite sud de la propriété d'une personne qui la prive de la vue dégagée dont elle disposait n’est pas constitutive d’un trouble anormal, dès lors que la construction a lieu dans un milieu urbanisé, que le droit à la vue n'est pas protégé dans un tel milieu et qu'en outre rien ne démontrait la nature d’intérêt ou le caractère d’exception de la vue perdue (Cass. Civ. 3ème, 9 novembre 2023, n° 22-15.403).
En revanche, constituent un trouble anormal de voisinage les nuisances consistant, après la modification importante des conditions d’exploitation résultant de l’augmentation du cheptel et de la localisation des nouveaux bâtiments, en des odeurs nauséabondes, des bruits d’animaux, de machines, et aussi en la présence envahissante d’insectes, d’autant que les bâtiments litigieux se situaient en zone urbaine du village (Cass. Civ. 3ème, 7 décembre 2023, n° 22-22.137).
On relèvera également :
- un arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux en date du 29 février 1996, selon lequel : "le chant d’un coq qui s’exerce sans discontinuer la nuit à partir de 4h, constitue un trouble à la tranquillité du voisinage demeurant à proximité de la volière où l’animal est enfermé, ce chant ne pouvant, compte tenu de son caractère répétitif, être considéré comme résultant du comportement normal d’un tel volatile, même en milieu rural".
- dans le sens contraire, un arrêt assez cocasse de la Cour d'appel de Riom en date du 7 septembre 1995 : "attendu que la poule est un animal anodin et stupide, au point que nul n’est encore parvenu à la dresser, pas même un cirque chinois ; que son voisinage comporte beaucoup de silence, quelques tendres gloussements, et des caquètements qui vont du joyeux (ponte d’un œuf) au serein (dégustation d’un ver de terre) en passant par l’affolé (vue d’un renard) ; que ce paisible voisinage n’a jamais incommodé que ceux qui, pour d’autres motifs, nourrissent du courroux à l’égard des propriétaires de ces gallinacés ; que la cour ne jugera pas que le bateau importune le marin, la farine le boulanger, le violon le chef d’orchestre, et la poule un habitant du lieu-dit La Rochette, village de Salledes (402 âmes) dans le département du Puy-de-Dôme".
Le régime juridique du trouble anormal de voisinage
Un régime de responsabilité sans faute
Comme l'affirme l’article 1253 du Code civil, la responsabilité pour trouble anormal de voisinage est une responsabilité de plein droit. Autrement dit, il s'agit d'une responsabilité sans faute. La seule constatation d'un trouble anormal de voisinage suffit pour engager la responsabilité de celui qui a généré le trouble. Il n'est aucunement nécessaire de prouver une faute de sa part.
La pré-occupation, cause d'exonération de la responsabilité pour trouble anormal de voisinage
La responsabilité pour trouble anormal de voisinage n'est pas engagée lorsque le trouble anormal préexistait à l’installation du voisin victime. C’est ce qu’on appelle la pré-occupation. Plus précisément, il faut trois conditions pour que la pré-occupation s’applique : l’activité nuisible doit être antérieure, elle doit être exercée dans le respect des lois et règlements et elle doit s’être poursuivie dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l'origine d'une aggravation du trouble anormal (article 1253 alinéa 2 du Code civil).
La réparation du trouble anormal de voisinage
La personne dont la responsabilité pour trouble anormal de voisinage est engagée doit réparation du trouble anormal de voisinage à la victime. Cette réparation peut avoir lieu :
- en nature : la personne dont la responsabilité est engagée devra faire cesser le trouble. Pour ce faire, le juge pourra lui ordonner de réaliser des travaux, voire de démolir un ouvrage. Exemples : travaux d'insonorisation, démolition d'un mur...
- par équivalent : si la réparation en nature n'est pas possible ou insuffisante pour compenser le préjudice subi par la victime, la personne dont la responsabilité est engagée devra lui verser des dommages et intérêts.
Trés belle analyse. Merci pour votre explication
Très bien résumé, bonne synthèse!
Bonjour
Je vais être sous très peu confronté à un TAV du fait d’une véranda cuisine surélevée et donc de 3,50 m de haut et 4,4 m de long distante de 1,25 m de ma fenêtre, à angle droit de la façade, le long du mur mitoyen et donc fort néfaste pour le soleil plein Ouest et la clarté et la vue ( suis de surcroît invalide cécité /catégorie III… La clarté m’est donc « vitale ») aussi merci de me communiquer toutes infos .. au fil de leur parution.
Très cordialement,